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La Cour du Delaware étend le devoir de surveillance d’un administrateur aux dirigeants - Qu’est-ce que cela pourrait signifier pour les administrateurs et les dirigeants canadiens?

10 mars 2023

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Écrit par Preet Gill, Denise Bright and Phoebe Goldig

Aux États-Unis, les administrateurs de sociétés ont, en tant que sous-ensemble de leur devoir de loyauté, une obligation de surveiller et de superviser les opérations de la société, appelée « devoir de surveillance » dans ce blog. Cette obligation est connue sous le nom d’obligation « Caremark », nommée d’après l’affaire de 1996 établissant ses paramètres. 1 L’obligation De Caremark exige des administrateurs d’exécuter deux fonctions, ou autrement risquer de faire face à la responsabilité personnelle en vertu de la loi du Delaware: (1) tenter, de bonne foi, de s’assurer que des systèmes d’information et de rapport adéquats existent dans l’organisation; et (2) répondre adéquatement aux signaux d’alarme indiquant des actes répréhensibles qui sont à l’attention du conseil d’administration.

Récemment, dans In re McDonald’s Corp. Stockholder Derivative Litigation,2 la Cour de chancellerie du Delaware a rendu une décision importante (sur une requête préliminaire en rejet), étendant cette obligation de surveillance aux dirigeants d’entreprise des sociétés du Delaware. 

Bien que ni les administrateurs ni les dirigeants de sociétés canadiennes n’aient actuellement une obligation spécifique de surveillance en vertu de la loi canadienne, le fait que cette obligation continue d’être affirmée (et étendue) en vertu de la loi du Delaware peut être instructif pour les tribunaux canadiens, qui se tournent souvent vers le droit du Delaware en ce qui concerne le droit des sociétés. Dans un environnement où la responsabilité des administrateurs et des dirigeants est de plus en plus examinée, de telles décisions peuvent avoir une certaine influence sur la bonne décision canadienne. 

Les faits

Les actionnaires de McDonald’s Corporation ont intenté des réclamations dérivées contre le conseil d’administration et certains dirigeants de McDonald’s. Les allégations étaient centrées sur les actions de David Fairhurst, vice-président exécutif et directeur mondial des ressources humains de McDonald’s de 2015 jusqu’à son licenciement avec motif valable en 2019. La principale allégation était que Fairhurst avait manqué à ses obligations fiduciaires en « permettant à une culture d’entreprise de se développer qui tolérait le harcèlement sexuel et l’inconduite ». Les actionnaires ont allégué que les obligations fiduciaires de Fairhurst comprenaient un devoir de surveillance, et qu’il avait manqué à cette obligation en (1) ignorant consciemment les signaux d’alarme indiquant que le harcèlement sexuel et l’inconduite étaient répandus chez McDonald’s, et (2) en omettant de signaler à ses supérieurs, ou autrement aborder, la prétendue inconduite. Les actionnaires ont également allégué que Fairhurst avait manqué à son devoir de loyauté en se livrant personnellement à des actes de harcèlement sexuel pendant son mandat chez McDonald’s, créant ainsi lui-même des signaux d’alarme.

Fairhurst a demandé le rejet de la réclamation au motif que les demandeurs n’ont pas déclaré une réclamation sur laquelle une réparation pourrait être accordée, puisque la loi du Delaware ne reconnaît pas une réclamation d’obligation de surveillance contre les dirigeants de la société.

Décision

La Cour a rejeté la requête de Fairhurst et a statué que les dirigeants ont les mêmes obligations fiduciaires que les administrateurs, y compris l’obligation de surveillance.

Bien que la Cour ait confirmé que les dirigeants, comme les administrateurs, sont tenus d’exécuter les deux obligations en vertu de l’obligation de Caremark (établir des systèmes d’information et signaler les signaux d’alarme), il est important de noter que la portée de la fonction de surveillance d’un agent diffère de celle d’un administrateur. Bien que la version de l’obligation de l’administrateur soit à l’échelle de l’entreprise, l’obligation de surveillance d’un agent est axée sur le contexte et peut être limitée à la zone de la société sous son contrôle. Cette distinction est due à la nature des rôles respectifs des administrateurs et des dirigeants au sein de la société – les administrateurs sont chargés de « l’autorité plénière sur les activités et les affaires de la société », tandis que les dirigeants, à l’exception du chef de la direction et du chef de la conformité, ont généralement un domaine d’autorité plus limité. Malgré cette distinction, la Cour a fait remarquer qu’un signal d’alarme peut être si grave ou si important qu’un agent ne peut pas l’ignorer sans engager sa responsabilité, même s’il ne relève pas de son domaine. 

La Cour a également indiqué que les dirigeants, comme les administrateurs, ne seront responsables des manquements à l’obligation de surveillance que si un demandeur peut prouver qu’il a agi de mauvaise foi et qu’il a donc manqué à son obligation de loyauté. Bien que l’obligation de surveillance puisse englober à la fois l’obligation de loyauté et l’obligation de diligence, un agent ne sera pas tenu responsable (et une réclamation ne survivra pas à une requête en irrecevabilité) lorsque le demandeur plaide uniquement des actions qui constituent une négligence grave (c.-à-d. un manquement à l’obligation de diligence) plutôt qu’une mauvaise foi (c.-à-d. un manquement à l’obligation de loyauté).

La Cour a conclu que les demandeurs avaient effectivement plaidé que Fairhurst avait manqué à son devoir de surveillance en permettant à McDonald’s de développer une culture d’entreprise toxique et en fermant les yeux sur le harcèlement sexuel et l’inconduite. En outre, leur réclamation pour ses propres actes de harcèlement sexuel pourrait être maintenue. Par conséquent, la requête en irrecevabilité de Fairhurst a été rejetée.

Bien que cela ait été déterminé dans le cadre d’une requête préliminaire en irrecevabilité, la confirmation que les agents ont une obligation de surveillance s’applique de façon plus générale. 

Points à retenir pour le droit canadien des sociétés

En vertu de la loi canadienne, chaque administrateur et dirigeant d’une société a le devoir d’agir honnêtement et de bonne foi, dans l’intérêt supérieur de la société (c.-à-d. le devoir de loyauté), et d’exercer le soin, la diligence et la compétence qu’une personne raisonnablement prudente exercerait dans des circonstances comparables (c.-à-d. l’obligation de diligence). 3 Une obligation générale de se conformer aux lois sur les sociétés, aux statuts, aux règlements administratifs et à toute convention unanime des actionnaires est également imposée aux administrateurs et aux dirigeants. 4

Bien que le droit canadien n’ait pas encore énoncé une obligation de surveillance de Caremark, l’obligation générale d’un administrateur de gérer ou de superviser la gestion des affaires et des affaires de la société5  pourrait potentiellement mener, avec les bons faits, à ce que des réclamations de type Caremark soient présentées au Canada en tant que sous-ensemble des fonctions générales des administrateurs, et pourrait inclure des réclamations contre des dirigeants en raison du McDonald’s décision. Bien qu’ils ne soient pas liés par eux, bien sûr, les tribunaux canadiens tienne souvent compte de l’évolution du droit américain et, par conséquent, il est possible que ces décisions trouvent une influence dans le bon cas. Par conséquent, les administrateurs et les dirigeants canadiens voudront peut-être prendre note de ces décisions et de leur application potentielle en raison de l’importance accrue accordée au Canada aux risques opérationnels. De plus, compte tenu de la sensibilisation accrue à la gouvernance environnementale, sociale et d’entreprise (ESG), il est sans doute plus probable que ces obligations commencent à être envisagées au nord de la frontière. 

Pour plus d’informations sur les fonctions des administrateurs et des dirigeants dans le contexte de votre organisation, n’hésitez pas à contacter les auteurs ou un membre du groupe Bennett Jones Corporate Governance group.

 


1 In re Caremark International Inc. Derivative Litigation, 698 A.2d 959 (Del. Ch. 1996) [Caremark].

2 C.A. no 2021-0324-JTL (Del. Ch. 25 janvier 2023) [McDonald’s].

3 Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. (1985), ch. C-44, par. 122(1); Dans l’ensemble du Canada, voir : (ON) Loi sur les sociétés par actions, L.R.O. 1990, ch. B.16, par. 134(1); (AB) Loi sur les sociétés par actions, L.R.A. 2000, par. 122(1); (C.-B.) Business Corporations Act, S.B.C. 2002, ch. 57, par. 142(1); (MB) Loi sur les corporations, L.C.M.C., ch. C225, par. 117(1); (NL) Loi sur les corporations, L.R.N.L. 1990, ch. C-36, par. 203(1); (NT) Loi sur les sociétés par actions, L.N.T.N.-O. 1996, ch. 19, par. 123(1); (NU) Loi sur les sociétés par actions, S.N.W.T. (Nu.) 1996, ch. 19, par. 123(1); (YT) Loi sur les sociétés par actions, L.R.Y. 2002, ch. 20, par. 124(1). Voir aussi People’s Department Stores Ltd. (1992) Inc., Re, 2004 CSC 68, au para 32.

4 Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. (1985), ch. C-44, par. 122(2).

5 Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. 1985, ch. C-44, par. 102(1).  

 

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