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Les tribunaux du Delaware confirment que des normes élevées en matière de violation de l’obligation de surveillance s’appliquent également aux dirigeants et aux administrateurs

12 mars 2024

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Écrit par Denise Bright, Preet Gill and Julia Mogus

Vue d’ensemble

Aux États-Unis, les administrateurs de sociétés et, comme l’a confirmé la Cour du Delaware dans l’affaire McDonald’s Corp. Stockholder Derivative Litigation (McDonald)1, les dirigeants de sociétés ont, en tant que sous-ensemble de leur devoir de loyauté, l’obligation de surveiller et de superviser les opérations d’une société. Cette obligation de surveillance est souvent appelée l’obligation « Caremark », du nom de l’affaire de 1996 établissant ses paramètres. 2 Une partie qui cherche à présenter une réclamation caremark contre un administrateur et/ou un dirigeant « doit alléguer suffisamment de faits pour étayer une inférence raisonnable que le fiduciaire a agi de mauvaise foi»3.

Récemment, dans Segway Inc. v Cai,4 la Cour de chancellerie du Delaware a publié une décision importante précisant que McDonald n’a pas créé une norme inférieure pour les réclamations Caremark intentées contre les dirigeants de sociétés du Delaware. Il est plutôt confirmé que la norme élevée en matière de plaidoirie s’applique également aux administrateurs et aux dirigeants américains.

À l’heure actuelle, les administrateurs et les dirigeants des sociétés canadiennes n’ont pas d’obligation particulière de surveillance. Dans un blogue précédent, Delaware Court Extends a Director’s Duty of Oversight to Officers—What Could This Mean for Canadian Directors and Officers ?, nous avons écrit que les tribunaux canadiens peuvent considérer cette série de décisions récentes du Delaware comme une orientation pour comprendre la responsabilité des administrateurs et des dirigeants au Canada. Il reste à voir si, à la lumière de cette autre jurisprudence, elle influencera l’examen canadien de cette question.

Les faits 

Segway Inc. a intenté une action contre son ancienne présidente, Judy Cai, pour manquement à son devoir de loyauté envers l’entreprise, plus précisément le devoir de surveillance. L’allégation singulière était que Cai avait manqué à son obligation fiduciaire de loyauté en tant que dirigeante de la société en « ignorant consciemment certains écarts financiers ». Segway a allégué que Cai avait fait des divergences flagrantes dans la déclaration des renseignements financiers de Segway, y compris en fournissant des chiffres qui ne correspondaient pas aux dossiers de l’entreprise. Segway a également allégué que Cai n’avait pas tenu compte des problèmes des clients qui avaient entraîné une augmentation des comptes débiteurs et n’avait pas pris de mesures et n’avait pas informé le conseil de ces problèmes.

Cai a présenté une requête en rejet de la demande au motif que Segway n’avait pas présenté de demande à l’égard de laquelle une réparation pouvait être accordée. 5

La décision

La Cour a accueilli la requête de Cai, jugeant que de telles allégations ne conviennent pas à une réclamation caremark.

Bien que la Cour ait réaffirmé sa décision dans l’affaire McDonald selon laquelle l’obligation de surveillance s’étend aux dirigeants d’entreprise, elle a précisé qu’elle n’avait pas en fait créé une norme inférieure pour les réclamations de surveillance intentées contre des dirigeants. La Cour a rejeté l’interprétation de Segway de McDonald qui impliquait une norme moins élevée pour les dirigeants que pour les administrateurs. La Cour a plutôt précisé qu’une réclamation Caremark contre un dirigeant d’entreprise n’est pas plus facile à plaider qu’une réclamation contre un administrateur - la norme élevée s’applique à la fois aux administrateurs et aux dirigeants. De plus, il convient de noter que pour qu’un agent soit tenu responsable d’un manquement à son devoir de surveillance, la mauvaise foi applicable doit porter sur des « questions relevant de sa compétence ».  

La Cour a ensuite analysé si Segway avait plaidé de façon adéquate que Cai avait agi de mauvaise foi, ce qui était nécessaire pour appuyer son allégation selon laquelle Cai avait manqué à son devoir de surveillance. On dit qu’un fiduciaire agit de « mauvaise foi » lorsqu’il : (1) omet complètement de mettre en œuvre un système ou des contrôles de déclaration ou d’information ; ou (2) « après avoir mis en œuvre un tel système ou des contrôles, ometent consciemment de surveiller ou de superviser ses opérations », les désactivant « d’être informés ou d’être des risques ou des problèmes ».

La Cour a noté que les obligations de surveillance en vertu de la loi du Delaware ne sont pas « conçues pour soumettre [les fiduciaires] à la responsabilité personnelle pour ne pas avoir prédit l’avenir et évaluer correctement le risque commercial » et que « de mauvaises choses [sic] peuvent arriver aux entreprises malgré les fiduciaires exerçant la plus grande bonne foi ».

La Cour a conclu que les allégations contre Cai ne satisfaisaient pas au seuil élevé d’actes répréhensibles nécessaire pour établir la mauvaise foi, mais a également noté spécifiquement que Segway n’avait pas allégué d’actes répréhensibles potentiels de la part de Cai. Plus précisément, la Cour a statué que les allégations formulées ne constituaient pas les signaux d’alarme requis pour déclencher Caremark la responsabilité. De plus, en concluant qu’il n’y avait aucune preuve, selon le deuxième volet du critère, que Cai avait agi de mauvaise foi, la Cour a affirmé que « la doctrine Caremark n’est pas un outil pour tenir les fiduciaires responsables des problèmes commerciaux quotidiens », mais visait plutôt à « traiter le cas extraordinaire où le « défaut total » des fiduciaires de mettre en œuvre « un système de conformité efficace ou  le « mépris conscient » de la loi donne lieu à un traumatisme corporatif.  Par conséquent, la requête en irrecevabilité de Cai a été accueillie.

Points à retenir pour le droit canadien des sociétés

Comme nous l’avons souligné dans un blogue précédent, Le tribunal de première instance étend l’obligation de surveillance d’un administrateur aux dirigeants – Qu’est-ce que cela pourrait signifier pour les administrateurs et les dirigeants canadiens ?, bien qu’il n’y ait actuellement aucune obligation de surveillance en droit canadien des sociétés, les administrateurs et les dirigeants doivent agir honnêtement et de bonne foi dans l’intérêt supérieur de la société. Sur cette base, nous avons indiqué qu’il est prévisible qu’une réclamation de type Caremark puisse être intentée au Canada contre des administrateurs et des dirigeants de sociétés canadiennes. Bien que cette nouvelle décision confirme la norme élevée à laquelle doit satisfaire une partie qui cherche à présenter une réclamation caremark contre un administrateur ou un dirigeant, il reste à voir si elle influencera un examen plus approfondi de la question.

Quoi qu’il en soit, il est bien connu que le droit canadien des sociétés se tourne souvent vers le droit du Delaware, et ce dernier épisode des affaires du Delaware impliquant des réclamations intentées contre les administrateurs et les dirigeants d’une société pour des manquements présumés à superviser les décisions et à surveiller les signaux d’alarme, peut s’avérer influent au Canada.

Pour plus d’informations sur les fonctions des administrateurs et des dirigeants dans le contexte de votre organisation, n’hésitez pas à contacter les auteurs ou un membre du groupe Bennett Jones Corporate Governance group.


1 C.A. No. 2021-0324-JTL (Del. Ch. Jan. 25, 2023).

2 In re Caremark International Inc. Derivative Litigation, 698 A.2d 959 (Del. Ch. 1996).

3 Segway Inc v Cai, C.A. No. 2022-1110-LWW (Del. Ch. 14 déc. 2023).

4 C.A. No. 2022-1110-LWW (Del. Ch. 14 déc. 2023).

5 Règle 12(b)(6) de la Cour de la chancellerie.

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