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Une société minière demande à la Cour suprême d’entendre sa contestation des allégations de violations des droits de l’homme en Érythrée

31 janvier 2018

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Écrit par Milos Barutciski, Andrew D. Little and Josh Scheinert

Nevsun Resources, une société minière de la Colombie-Britannique, a demandé à la Cour suprême d’entendre son appel d’une récente décision de la Colombie-Britannique qui enverrait les revendications en matière de droits de la personne d’un groupe de plaignants érythréens devant un tribunal.

Les plaignants allèguent que l’entreprise a été complice de torture, d’esclavage, de travail forcé et d’autres violations des droits de l’homme à sa mine de Bisha en Érythrée. L’entreprise nie fermement toute responsabilité pour les réclamations. Il s’agit du dernier cas de plaideurs étrangers qui s’emparent d’un domaine du droit en évolution rapide qui vise à tenir les entreprises transnationales responsables des violations des droits de l’homme commises à l’étranger.

À la fin de novembre 2017, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a rendu de longs motifs qui ont permis aux demandeurs de procéder au procès de leur demande devant les tribunaux de la Colombie-Britannique. L’entreprise vient de déposer une demande d’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada.

Nouveaux principes juridiques « transnationaux »

Araya v. Nevsun Resources Ltd., 2017 BCCA 401 [Nevsun]1 est l’une des nombreuses poursuites canadiennes fondées sur le domaine émergent du droit « transnational ». Le droit transnational concerne les normes juridiques qui s’appliquent aux événements ou aux comportements qui transcendent les frontières internationales. Dans certains cas, le droit transnational cherche à tirer parti des principes de droit international public, ou « normes », pour établir la responsabilité devant les tribunaux d’un État découlant de violations du droit international public (telles que les violations des droits de l’homme) qui se produisent dans un autre État.

Dans l’affaire Nevsun, par exemple, les demandeurs érythréens cherchent à obtenir réparation contre les défendeurs canadiens, devant les tribunaux canadiens, pour des violations présumées des droits de la personne qui se sont produites en Érythrée. Les pratiques répugnantes telles que la torture et l’esclavage sont illégales en vertu du droit international public et des traités auxquels l’Érythrée et le Canada sont tous deux parties.

Les plaignants allèguent que l’entreprise était complice du comportement illégal commis par le gouvernement érythréen ou ses entités. La question de la compétence d’un tribunal canadien pour juger les actions d’un autre État a été longuement débattue devant les tribunaux de la Colombie-Britannique.

La décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique

La plainte des plaignants découlait d’allégations de torture, d’esclavage, de travail forcé et d’autres violations des droits de l’homme à la mine Bisha de Nevsun en Érythrée. Les plaignants allèguent que les actes ont été commis par l’armée, des sociétés contrôlées par l’armée et le parti politique au pouvoir (et seul) de l’Érythrée, avec lequel Nevsun s’est associé pour construire la mine.

Après avoir déposé sa défense, Nevsun a présenté des requêtes préliminaires, faisant valoir que les réclamations devraient être entendues en Érythrée plutôt qu’en Colombie-Britannique, que les réclamations étaient en substance contre l’État de l’Érythrée et ne devraient pas être tranchées au Canada, et que les réclamations fondées sur le droit international public n’étaient pas fondées sur une cause d’action reconnue au Canada.

Les demandeurs ont avancé deux fondements juridiques distincts pour leurs réclamations: les délits de droit privé et les violations du droit international public. Tous deux s’appuyaient sur l’évolution des normes de conduite acceptable des affaires et des droits de la personne. Les demandeurs ont invoqué le délit de négligence pour le non-respect par Nevsun de toute « norme de responsabilité sociale des entreprises ». L’allégation en vertu du droit international public était plus nouvelle et alléguait que la common law canadienne incorpore les interdictions du droit international coutumier contre la torture, l’esclavage et les comportements similaires, dont la violation donnerait lieu à une demande de dommages-intérêts.

Nevsun a contesté la demande des plaignants pour un certain nombre de motifs, qui ont été rejetés par le juge en première instance. La Cour d’appel devait décider si le juge avait commis une erreur sur trois questions principales.

1. Forum inapproprié pour entendre l’affaire

Premièrement, la Cour d’appel a confirmé la conclusion du juge selon laquelle l’affaire pouvait aller de l’avant en Colombie-Britannique, malgré plusieurs défis pratiques, notamment l’emplacement des demandeurs et des éléments de preuve en Afrique, la médiocration des télécommunications et de l’Internet en Érythrée, et les barrières linguistiques. De manière critique, le juge a conclu qu’il y avait un « risque réel » que les plaignants ne bénéficient pas d’un procès équitable en Érythrée. Cette raison s’est avérée convaincante pour la Cour d’appel, qui a favorisé « la compétence dans laquelle les demandeurs peuvent faire valoir leurs revendications dans une procédure équitable et impartiale, par rapport à une juridiction dans laquelle la justice semble peu susceptible d’être rendue ».

2. La doctrine de l'« acte d’État »

La Cour d’appel a ensuite examiné la doctrine de l'«acte d’État ». La question en litige était de savoir si le juge aurait dû décliner sa compétence parce que la demande exigeait que les tribunaux canadiens déterminent la responsabilité pour les actes du gouvernement de l’Érythrée, un État souverain.

Les motifs de la Cour, rédigés par madame la juge Newbury, retracent soigneusement l’évolution de la doctrine. La Cour a accordé une attention particulière aux décisions des tribunaux britanniques dans lesquelles les questions de violations des droits de l’homme militaient contre l’application de la doctrine. Le juge Newbury a fait remarquer que la doctrine de l'« acte d’État » était antérieure à l’avènement des protections modernes des droits de la personne, suggérant que les engagements modernes à l’égard des droits de la personne doivent également avoir du poids dans le canon du droit international. Ce point a été souligné par la Chambre des lords dans l’arrêt Pinochet de 2000, où lord Millett a fait observer qu’il serait antithétique pour le droit international de créer un crime comme la torture, dont l’interdiction est une norme impérative du droit international, mais en même temps d’accorder l’immunité aux auteurs par le biais de la doctrine de l'« acte d’État ».

La Cour d’appel a rejeté les arguments de l'« acte d’État », principalement parce que la demande des demandeurs était fondée sur les actions alléguées de Nevsun, plutôt que sur les actes du gouvernement érythréen. Même si la doctrine de l'«acte d’État » était en jeu, les demandeurs alléguaient que Nevsun était complice d’actes illégaux en vertu du droit national et international. Les tribunaux de la Colombie-Britannique n’auraient pas à juger des actes de l’État érythréen, car les actes en question étaient incontestablement illégaux en vertu de la loi érythréenne.

3. Violations du droit international coutumier

La Cour d’appel a conclu que les tribunaux canadiens n’avaient pas encore décidé si une plainte pouvait ou non être présentée pour violation du droit international coutumier. Reconnaissant l’état évolutif du droit, la Cour a même laissé entendre que si cette question était soumise à la Cour suprême du Canada, « des directives peuvent être fournies quant à « où nous en sommes » ».

Reconnaissant l’incertitude du droit interne et les « obstacles juridiques importants » auxquels les demandeurs étaient confrontés, la Cour d’appel a estimé que la demande des demandeurs pourrait développer davantage le droit. Malgré la nouveauté de la demande, la Cour d’appel a refusé de la rejeter, ce qui a ouvert la porte à un premier recours civil pour violation du droit international coutumier devant les tribunaux canadiens.

Conclusion

La décision rendue dans l’affaire Nevsun est l’une des trois procédures « transnationales » qui se dirigent vers un procès devant les tribunaux canadiens après avoir survécu aux contestations judiciaires initiales des revendications. Dans une quatrième affaire, un tribunal de l’Ontario a rejeté un recours collectif proposé fondé sur des événements survenus à l’étranger (voir le commentaire ici).

À chaque décision, il devient plus clair que les tribunaux canadiens ne rejetteront pas de façon superficielle les allégations de violations présumées des droits de la personne commises à l’étranger par des sociétés canadiennes. Les tribunaux canadiens se révèlent de plus en plus disposés à adapter le droit canadien aux nouvelles circonstances découlant des nouveaux principes de droit international public.


1 2017 BCCA 401, selon newbury JA, les juges Willcock et Dickson sont d’accord.

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