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Tendances dans les cas de congédiement injustifié au Canada

23 mars 2022

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Comment des décisions récentes signalent une approche potentiellement élargie à l’égard des dommages-intérêts majorés et punitifs

Écrit par David Cassin, Renee Gagnon, Benjamin Reedijk and Claire Lingley

Deux décisions récentes : Moffatt v Prospera Credit Union [Moffat], de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, et Russell v The Brick Warehouse LP [Russell], de la Cour supérieure de l’Ontario, mettent en évidence ce qui semble être une tendance en développement dans les cas de congédiement injustifié au Canada – les tribunaux examinent de plus en plus la conduite des employeurs après la cessation d’emploi et accordent des dommages-intérêts majorés ou punitifs.

Dans les deux cas, les tribunaux ont accordé des dommages-intérêts accrus, en plus des dommages-intérêts compensatoires pour congédiement injustifié, en raison de la conduite des employeurs après le congédiement découlant principalement de lacunes dans les lettres de congédiement fournies aux employés qui quittent le service. Ces décisions peuvent être perçues comme abaissant le seuil d’octroi de dommages-intérêts majorés ou punitifs dans les cas de congédiement injustifié partout au pays.

Cette approche potentiellement élargie à l’égard des dommages-intérêts majorés et punitifs souligne la nécessité pour les employeurs de s’assurer qu’ils se conforment aux normes d’emploi minimales, d’identifier clairement les éléments conditionnels d’une offre de cessation d’emploi et de traiter les employés qui quittent leur emploi avec respect, dignité et transparence.

Colombie-Britannique : La décision Moffatt et les dommages-intérêts punitifs

Mme Moffatt a été congédiée, sans motif valable, après environ 22 mois d’emploi à la suite d’une réorganisation à l’échelle de l’entreprise. À la cessation d’emploi, l’employeur a remis à Mme Moffatt une lettre de cessation d’emploi visant à énoncer ses droits à la cessation de son emploi, conformément à l’Employment Standards Act (Colombie-Britannique) et à son contrat de travail. 

La lettre de cessation d’emploi indiquait à tort que Mme Moffatt n’avait droit qu’à un préavis de deux semaines (ou à une rémunération compensatoire) et à un montant forfaitaire pour les prestations au cours de cette période. La lettre de congédiement exigeait également qu’elle signe la lettre et une quittance complète et finale, et l’avertissait qu’il lui était interdit de solliciter les clients, les employés ou les entrepreneurs de l’entreprise pour une période de 12 mois (le contrat de travail ne prévoyait une interdiction de sollicitation que pour une période de 6 mois).

Au procès, l’employeur a cherché à invoquer la disposition relative à l’avis contractuel dans le contrat de travail de la demanderesse, limitant son droit au congédiement à un préavis d’un mois. L’employeur a également soutenu que sa référence à un préavis de 2 semaines et à une disposition de non-sollicitation de 12 mois dans la lettre de congédiement était une erreur administrative (en raison de la préparation de plus de 100 trousses de cessation d’emploi pour les employés réorganisés).

La Cour a jugé que la disposition relative à un préavis d’un mois était inapplicable et a fixé le délai de préavis raisonnable à trois mois après avoir tenu compte des facteurs Bardal applicables.  En plus des dommages-intérêts tenant lieu de préavis raisonnable, le tribunal a accordé à Mme Moffatt des dommages-intérêts punitifs d’un montant équivalant à 2,5 mois de salaire en raison de la nature trompeuse de la lettre de congédiement et dans le but d’assurer la dissuasion et la dénonciation. Notamment, l’octroi de dommages-intérêts punitifs reflétait le montant dont la cour a conclu que Mme Moffatt aurait été privée si elle avait signé la lettre de congédiement.

Malgré l’argument de l’employeur selon lequel il n’était pas délibérément malhonnête ou trompeur, et qu’il était prêt à corriger les erreurs administratives une fois soulevées par l’avocat de l’employé, la cour a souligné que si Mme Moffatt n’avait pas retenu les services d’un avocat, elle aurait sans le savoir signé son droit à un préavis plus élevé, doublé la durée de ses clauses restrictives; et a libéré toute réclamation qu’elle aurait pu avoir contre l’employeur.

Ontario : L’arrêt Russell et les dommages-intérêts majorés

Dans l’affaire Russell, l’employé a été congédié, sans motif valable, après une longue période d’emploi de 36 ans. L’employeur a congédié M. Russell, ainsi que plusieurs autres employés, dans le cadre d’une restructuration précipitée par la pandémie de COVID-19.

Au congédiement, M. Russell a reçu une lettre de congédiement qui comprenait une offre sans préjudice, qui était assujettie à la signature d’une quittance complète et définitive. La lettre de congédiement ne l’informait pas que s’il déclinait l’offre, il aurait immédiatement droit à ses droits prévus par la loi en vertu de laLoi de 2000 sur les normes d’emploi (Ontario).

En réponse à l’offre sans préjudice dans la lettre de cessation d’emploi, M. Russell a demandé que ses droits à la cessation d’emploi (y compris ses droits minimums prévus par la loi à l’indemnité de départ et à l’indemnité de préavis) soient déposés directement dans son REER. Il a également demandé une paye de vacances bonifiée et une lettre de recommandation positive.

Au moyen d’une série de ce que le tribunal a jugé être des « faux pas involontaires », l’employeur n’a pas immédiatement transféré le montant exact des indemnités minimales de départ et de cessation d’emploi prévues par la loi au REER de M. Russell jusqu’à ce que le litige ait été intenté. M. Russell n’a pas eu de revenu ou (à sa connaissance) d’avantages sociaux pendant environ sept mois et demi après la cessation d’emploi.

Après avoir examiné la lettre de cessation d’emploi, la Cour a conclu qu’elle n’était pas entièrement conforme aux droits minimaux prévus par la loi de M. Russell, car elle ne prévoyait pas le maintien de certains avantages et de certaines indemnités de vacances pendant la période de préavis minimum prévue par la loi. De plus, la Cour a statué que le défaut de transférer immédiatement le montant exact de l’indemnité de départ et de cessation d’emploi au REER de M. Russell, bien qu’en raison de « faux pas par inadvertance », a néanmoins causé de la détresse au-delà du niveau normal lors d’une cessation d’emploi.

Plus important encore, la Cour a également souligné que la lettre de congédiement n’informait pas M. Russell que s’il refusait l’offre sans préjudice, il se verrait immédiatement offrir ses droits minimaux prévus par la loi. La Cour a conclu que cette omission constituait un « défaut grave » équivalant à un « défaut de la part [de l’employeur] de traiter équitablement avec [le demandeur] ». En fin de compte, la Cour a statué que le défaut d’informer M. Russell de son droit inconditionnel aux paiements minimums prévus par la loi équivalait à un défaut de le traiter honnêtement et de manière franche.

Après examen des facteurs de l’arrêt Bardal, la Cour a conclu que M. Russell avait droit à un préavis raisonnable de 24 mois. De plus, le tribunal a accordé 25 000 $ à titre de dommages-intérêts moraux ou majorés, principalement en raison de ce qu’il a conclu être le manque de transparence et d’utilisation équitable de l’employeur en omettant de l’informer qu’il recevrait ses droits prévus par la loi, qu’il accepte ou non l’offre sans préjudice (les dommages-intérêts majorés visent principalement à remédier ou à compenser les blessures émotionnelles ou psychologiques d’un demandeur causées par la conduite insensible ou inappropriée d’un employeur; alors qu’en revanche, les dommages-intérêts punitifs sont destinés à servir principalement de pénalité dissuasive contre un employeur défendeur). Le défaut de l’employeur de respecter les droits minimums prévus par la loi, le défaut d’aviser du maintien des prestations du demandeur et le fait de causer de la détresse (au-delà du niveau normal) en raison des « faux pas involontaires » ont également contribué à l’octroi de dommages-intérêts majorés. 

Points à retenir

Les décisions rendues dans les affaires Moffat et Russell servent de rappel supplémentaire aux employeurs pour s’assurer qu’ils se conforment à toutes les obligations légales, ainsi que d’agir de bonne foi et de manière transparente dans la manière de mettre fin à la loi. Il est essentiel de planifier et de mettre en œuvre soigneusement tous les licenciements, car les tribunaux ne donneront pas aux employeurs une marge de manœuvre pour les « erreurs administratives » et les « faux pas involontaires » lorsque le résultat de telles erreurs porte atteinte aux droits d’un employé ou est perçu comme exploitant un employé vulnérable.

L’octroi de dommages-intérêts punitifs majorés, bien qu’il ne soit pas tout à fait rare, demeure relativement rare dans le contexte de l’emploi. La Cour suprême du Canada a placé la barre très haut pour le moment où ces catégories de dommages-intérêts seront disponibles1

Bien que les tribunaux des affaires Moffatt et Russell reconnaissent les seuils élevés pour accorder des dommages-intérêts majorés ou punitifs, chaque tribunal semblait disposé à adopter une approche plus souple pour conclure que ces seuils avaient été atteints afin d’envoyer un message clair aux employeurs que leur conduite après la cessation d’emploi sera examinée de près. Dans les deux cas, les tribunaux ont mis l’accent sur le contenu des lettres de congédiement et sur la question de savoir s’ils informaient correctement et de façon exhaustive les employés de leurs droits en cas de congédiement.

Pour limiter l’exposition à l’octroi de dommages-intérêts majorés ou punitifs en cas de cessation d’emploi, les employeurs devraient s’assurer qu’ils :

Si vous avez des questions sur l’effet de ces décisions et sur la façon dont vous pouvez mettre en œuvre des pratiques exemplaires pour limiter l’exposition aux demandes de dommages-intérêts majorés et punitifs, veuillez communiquer avec le groupe Bennett Jones Employment Services group pour en discuter.

1Honda Canada Inc. c Keays, 2008 CSC 39, la Cour a statué qu’il est possible d’obtenir des dommages-intérêts majorés lorsqu’un employeur a eu une conduite « injuste ou de mauvaise foi au cours d’un congédiement en étant, par exemple, mensongé, trompeur ou indûment insensible » (paragr. 57). Considérant que les dommages-intérêts punitifs sont généralement limités à des circonstances exceptionnelles où l’employeur s’est livré à des torts publicitaires qui sont « si malveillants ou scandaleux qu’ils méritent d’être punis de leur propre chef » (par. 62). Pour justifier des dommages-intérêts punitifs, la conduite de l’employeur doit être « dure, vindicative, répréhensible et malveillante, ainsi que de nature extrême et telle que, selon toute norme raisonnable, elle mérite une condamnation et une punition complètes » (au paragraphe 62, citant Vorvis v Insurance Corporation of British Columbia, 1989 CanLII 93 (CSC)).

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