Supplément aux Perspectives économiques du printemps 2021 : au-delà de la COVID

10 juin 2021

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Projections de la viabilité financière fédérale au Canada

Les niveaux prévus de déficits et de dette dans les derniers budgets du gouvernement fédéral et des quatre gouvernements provinciaux sont des projections raisonnables pour les années se 2023-24, si les gouvernements respectent réellement les plans de dépenses et de revenus énoncés dans ces budgets.

On peut clairement se demander si ces plans financiers sont viables à moyen terme pour tous les gouvernements, en particulier pour le gouvernement fédéral. Dans ce supplément au Bennett Jones Spring 2021 Economic Outlook, nous examinons en détail la question de la viabilité financière du gouvernement fédéral en fonction de deux critères clés :

  1. Le ratio de la dette au PIB devrait être clairement à la baisse au fil du temps, en fonction d’hypothèses prudentes pour la productivité future et la croissance de la population active, ainsi que pour les taux d’intérêt futurs qui déterminent les coûts du service de la dette.
  2. Les dépenses de programmes annuelles devraient être restreintes afin que le ratio projeté des coûts du service de la dette aux revenus (y compris tout changement de taux d’imposition) n’augmente pas au-dessus de 10 %, encore une fois en fonction de projections prudentes pour la productivité et la croissance futures de la population active et pour les taux d’intérêt futurs.

Afin de comprendre les répercussions financières à moyen terme pour le gouvernement fédéral, nous fournissons des projections pour les principaux paramètres financiers fédéraux jusqu’à la fin de la décennie selon trois scénarios économiques.

Le premier scénario (tableau A.1) repose sur les projections économiques et financières jusqu’à l’exercice 2025-26 contenues dans les documents budgétaires, prolongées selon des hypothèses « optimistes » jusqu’à l’exercice 2030-31. Les clés de cette projection sont les suivantes :

  1. une croissance économique réelle robuste de 1,8 % par année de 2025 à 2030;
  2. l’inflation à 2 % se traduisant par une croissance des revenus nominaux de 3,8 % après 2025;
  3. les revenus fédéraux augmentent de façon trop optimiste pour atteindre 15,3 % du PIB après 2024 sans augmentation d’impôt;
  4. le taux d’intérêt du gouvernement du Canada sur 10 ans augmentant lentement, passant de 1,5 % en 2021 à 2,7 % d’ici 2025, puis se stabilisant à ce niveau par la suite); et
  5. les dépenses de programmes nominales ont augmenté de 3 % par année en 2025-26 et par la suite.

Selon cette projection « raisonnablement optimiste », les déficits se stabiliseraient à environ 1 % du PIB au second semestre de la décennie, le ratio des frais de la dette publique aux revenus passerait à environ 10 % d’ici 2030-31 (colonne 5), et le ratio de la dette au PIB diminuerait légèrement, passant d’un sommet d’environ 51 % en 2021-22 à 45 % d’ici 2030-31 (colonne 6). Dans ce scénario raisonnablement optimiste, les dépenses réelles par habitant (en dollars de 2012) diminueraient légèrement chaque année, passant du niveau sous-entendu par le budget de 8 492 $ en 2023-2024 à 8 278 $ d’ici 2030-31 (colonne 3), ne laissant ainsi aucune marge de manœuvre financière pour la prolongation ou l’expansion des nouveaux programmes actuellement mis en place sur trois ans. Avec ce scénario, le cadre financier fédéral serait, à notre avis, probablement viable en ce que le ratio des frais de la dette publique aux revenus ne dépasse pas de façon significative 10 % et que le ratio de la dette au PIB est sur une trajectoire descendante année après année. Il est à noter que cette durabilité repose sur une combinaison future de politiques sans augmentation prévue des impôts et d’une baisse faible mais constante des dépenses réelles par habitant après 2023-24.


Tableau A.1 : Prolongation du budget fédéral de 2021 à l’exercice 2030-31

Nominal GDP
Variation en %
(1)
Real per capita program spending
Ch. 2012 $*
(3)
PDC/revenues
%
(5)
10-year bond yield
%
(7)
2018-19 4.2 14.9 7653 -13.964 7.0 30.7 2.3
2019-20 3.6 14.5 7949 -39.4 7.3 31.2 1.6
2020-21 -4.6 13.4 13984 -354.1 6.9 48.8 0.7
2021-22 9.3 14.7 10496 -154.8 6.2 51.1 1.5
2022-23 6 14.8 8624 -59.7 6.8 50.5 1.8
2023-24 4 14.9 8492 -51 7.7 50.5 2.1
2024-25 4 15.1 8339 -35.8 8.5 49.9 2.5
2025-26 3.8 15.3 8327 -30.7 9.0 49.1 2.7
2026-27 3.8 15.3 8317 -29.6 9.2 48.3 2.7
2027-28 3.8 15.3 8307 -28.9 9.6 47.5 2.7
2028-29 3.8 15.3 8297 -29 10.2 46.6 2.7
2029-30 3.8 15.3 8288 -26.5 10.2 45.7 2.7
2030-31 3.8 15.3 8278 -23 10.1 44.7 2.7
* Les dépenses de programmes sont déflatées par l’indice des prix de la consommation finale du gouvernement

 

Le deuxième scénario repose sur un scénario économique plus prudent de 2024 à la fin de la décennie (tableau A.2). La clé de ce scénario est une productivité plus faible et donc une croissance annuelle réelle de seulement 1,5%, ce qui, combiné à une inflation annuelle de 2% signifie une croissance nominale moyenne de seulement 3,5% sur la période après 2024. Le ratio des revenus au PIB resterait constant à 14,9% jusqu’en 2030-31 sans modification fiscale, de sorte que la croissance des revenus serait également constante à 3,5% par an après 2024. Dans ce scénario, le taux des obligations à 10 ans passerait à 3,5 % d’ici 2025 et, pessimiste, y resterait jusqu’en 2030. Le taux des obligations à 10 ans étant à peu près égal au taux de croissance des revenus, comme c’était le cas dans les années 1990, le ratio des frais de la dette publique aux revenus augmente de façon constante au cours de la deuxième moitié de la décennie pour atteindre plus de 14 % d’ici 2030-31 (colonne 5). Comme les dépenses nominales sont censées augmenter au même rythme de 3 % au cours de la deuxième moitié de la décennie que dans le premier scénario, les dépenses réelles par habitant tombent à 8 278 $ comme dans le premier scénario (colonne 3). Contrairement au premier scénario dans lequel le déficit budgétaire tombe lentement à un peu plus de 20 milliards de dollars d’ici 2030-31, dans ce scénario, le déficit s’élève à plus de 60 milliards de dollars et le ratio dette / PIB (colonne 6) reste presque constant à environ 50%, car des emprunts supplémentaires sont nécessaires pour combler l’écart causé par le ralentissement de la croissance économique et des taux d’intérêt plus élevés.


Tableau A.2 : Budget fédéral intégrant les risques à la baisse

Nominal GDP
Variation en %
(1)
Real per capita program spending
Ch. 2012 $*
(3)
PDC/revenues
%
(5)
10-year bond yield
%
(7)
2018-19 4.2 14.9 7857 -14.0 7.0 30.7 2.3
2019-20 3.6 14.5 7949 -39.4 7.3 31.2 1.6
2020-21 -4.6 13.4 13984 -354.1 6.9 48.8 0.7
2021-22 9.3 14.7 10496 -154.8 6.2 51.1 1.5
2022-23 6 14.8 8624 -59.7 6.8 50.5 2
2023-24 4 14.9 8492 -51 7.9 50.5 2.5
2024-25 4 14.9 8339 -44.1 9.1 50.2 3
2025-26 3.5 14.9 8327 -46.3 10.1 50.1 3.5
2026-27 3.5 14.9 8317 -49.6 11.0 50.1 3.5
2027-28 3.5 14.9 8307 -53.7 12.0 50.1 3.5
2028-29 3.5 14.9 8297 -59.2 13.3 50.3 3.5
2029-30 3.5 14.9 8288 -62.4 14.0 50.5 3.5
2030-31 3.5 14.9 8278 -64.5 14.5 50.7 3.5
* Les dépenses de programmes sont déflatées par l’indice des prix de la consommation finale du gouvernement

 

La politique budgétaire, dans ce deuxième scénario plus prudent, ne serait pas viable à long terme puisque le ratio du coût du service de la dette aux revenus aurait augmenté bien au-dessus du seuil soutenable de 10 %, et la dette/PIB serait constante au niveau élevé de 50 %. Notez que la situation serait encore plus insoutenable si la croissance des dépenses ne devait pas être contrôlée (comme dans le scénario précédent) pour s’assurer que les dépenses réelles par habitant diminuent lentement au cours de la seconde moitié de la décennie de son niveau de 2023-24 de 8 492 $ à 8 278 $ d’ici 2030-31.

Ni l’une ni l’autre de nos projections ne sont des prévisions pour l’avenir. L’évolution de la performance économique réelle et de l’évolution des taux d’intérêt sera beaucoup plus volatile que ne le suggèrent ces scénarios. À des fins de planification, les taux de croissance moyens ou les niveaux médians des taux d’intérêt au cours de la période 2024-30 fournissent des indicateurs supérieurs et inférieurs raisonnables des résultats financiers probables au cours de la décennie si, et c’est un grand si, le gouvernement fédéral limite la croissance moyenne des dépenses nominales à 3 % après 2024 et maintient le régime fiscal établi dans le budget.

Comme il est douteux qu’un gouvernement fédéral soit en mesure de gouverner de 2024 à 2030 tout en offrant des réductions continues d’année en année du niveau des dépenses réelles par habitant, nous avons construit un troisième scénario basé sur les mêmes hypothèses économiques que le deuxième scénario, mais en maintenant les dépenses réelles par habitant constantes aux niveaux de 2022-23 et en augmentant les impôts pour atteindre un ratio revenus / PIB de 16,5% (tableau A.3). Cela pourrait se faire en doublant à peu près la TPS ou en imposant quelque chose comme une surtaxe de 25 % sur le revenu des particuliers ou toute autre combinaison équivalente d’augmentations d’impôt. Nous ne laissez pas entendre que de telles augmentations d’impôt sont souhaitables du point de vue de la politique économique ou sociale, ni que le maintien de dépenses réelles par habitant soit nécessairement souhaitable. Cependant, ce que cette troisième projection indique, c’est l’ampleur des augmentations d’impôt qui seraient nécessaires simplement pour maintenir les dépenses fédérales réelles par habitant au niveau 2022-23 impliqué par le budget tout en assurant, sur la base de projections économiques prudentes, des finances fédérales plus ou moins durables.


Tableau A.3 : Budget fédéral avec une croissance i plus élevée et une croissance plus lente
mais maintenir les dépenses réelles par habitant constantes

Nominal GDP
Variation en %
(1)
Real per capita program spending
Ch. 2012 $*
(3)
PDC/revenues
%
(5)
10-year bond yield
%
(7)
2018-19 4.2 14.9 7653 -14.0 7.0 30.7 2.3
2019-20 3.6 14.5 7949 -39.4 7.3 31.2 1.6
2020-21 -4.6 13.4 13984 -354.1 6.9 48.8 0.7
2021-22 9.3 14.7 10496 -154.8 6.2 51.1 1.5
2022-23 6 14.8 8624 -59.7 6.8 50.5 2
2023-24 4 14.9 8624 -58.2 7.9 50.8 2.5
2024-25 4 15.3 8624 -47.4 8.9 50.5 3
2025-26 3.5 16 8624 -29.7 9.3 49.9 3.5
2026-27 3.5 16.5 8624 -17.2 9.7 48.8 3.5
2027-28 3.5 16.5 8624 -19.8 10.4 47.8 3.5
2028-29 3.5 16.5 8624 -23.4 11.3 46.9 3.5
2029-30 3.5 16.5 8624 -24.7 11.8 46.0 3.5
2030-31 3.5 16.5 8624 -24.7 12.0 45.2 3.5
* Les dépenses de programmes sont déflatées par l’indice des prix de la consommation finale du gouvernement

 

D’après notre analyse de ces trois scénarios, nous concluons qu’il est peu probable que le cadre financier fédéral soit viable s’il est jugé en fonction d’une projection prudente de la croissance et des taux d’intérêt. Même si la croissance économique et le rendement des revenus s’avèrent aussi solides après 2023 que le budget le prévoit implicitement, sans augmentation des impôts, la durabilité ne peut être atteinte que si les dépenses réelles par habitant sont réduites et si les plans de dépenses ambitieux du gouvernement pour ses propres programmes sont réduits.

Sustainability of National Finances

Cela laisse ouverte la question des transferts fédéraux aux provinces pour les soins de santé qui ne sont pas mentionnés dans le budget fédéral. À un moment donné, si l’on veut répondre aux attentes des Canadiens, l’augmentation des coûts de fonctionnement et d’immobilisations pour les soins de santé devra être satisfaite à même les budgets provinciaux. En examinant les quatre budgets provinciaux, nous constatons des augmentations insuffisantes des dépenses prévues pour couvrir les coûts de fonctionnement actuels du système de soins de santé, peu de dépenses en immobilisations supplémentaires prévues pour l’infrastructure de soins de santé et peu de dépenses de fonctionnement ou d’immobilisations supplémentaires pour améliorer les conditions inacceptables dans les établissements de soins de longue durée. Nous ne voyons pas non plus d’indication dans les budgets de fonctionnement provinciaux d’une augmentation des dépenses en services de garde d’enfants pour correspondre à l’initiative fédérale. Enfin, notre examen des budgets d’immobilisations provinciaux ne révèle que des investissements limités dans les écosystèmes nécessaires pour faciliter l’adaptation aux changements climatiques, pour produire les biens d’équipement nécessaires à la production d’énergie propre, de véhicules électriques et de réseaux de transport, ou à la numérisation de la production de biens et de services. Notre examen attentif du budget de la province de l’Ontario a révélé que les dépenses réelles prévues par habitant devraient diminuer d’année en année. En particulier, notre analyse des dépenses de fonctionnement réelles en soins de santé pondérées selon l’âge révèle une baisse de près de 2 % par année entre 2021-22 et 2029-30. Cette projection de dépenses est tout simplement irréaliste. Des recettes supplémentaires seront nécessaires soit à partir des impôts prélevés par la province, soit des transferts fédéraux pour financer un budget réaliste en matière de soins de santé. Ni les gouvernements provinciaux ni les gouvernements fédéral ne prennent de dispositions pour augmenter considérablement les impôts afin d’augmenter les revenus. Collectivement, les gouvernements fédéral et provinciaux doivent reconnaître publiquement que si l’on veut maintenir la qualité des services publics (y compris les transferts de revenus), et encore moins l’améliorer ou l’élargir, il faudra augmenter les impôts.

Pour que les finances publiques nationales soient viables, les budgets fédéraux et provinciaux devraient être fondés à la fois sur des projections de dépenses réalistes pour répondre aux besoins du public et sur des projections réalistes des recettes provenant des impôts qu’ils sont prêts à percevoir. Pour être viables, les budgets devraient fournir des plans qui permettent d’obtenir une trajectoire à la baisse du ratio dette/PIB actuellement élevé et de maintenir le ratio prévu des coûts du service de la dette aux revenus à un maximum de 10 %. Ce sont là les paramètres clés de la viabilité financière, que nous concluons que ni le gouvernement fédéral ni la plupart des gouvernements provinciaux ne respectent pleinement.  

À long terme, la viabilité des finances publiques dépend de la viabilité économique, qui à son tour dépend de la croissance de la productivité. La croissance de la productivité exige des investissements. Ainsi, les niveaux élevés d’emprunt des administrations publiques et l’augmentation de la dette pourraient en fait être viables au fil du temps seulement si ces emprunts sont contractés pour accroître la productivité. C’est la question clé que nous abordons dans le chapitre de clôture de notre Les perspectives économiques du printemps 2021.

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