Priorités en matière d’impôt foncier dans les procédures d’insolvabilité en Alberta : incertitude actuelle

12 novembre 2018

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Écrit par Kelsey J. Meyer

Des décisions récentes de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta ont remis en question la priorité des impôts fonciers municipaux dans les procédures d’insolvabilité. Deux de ces décisions font l’objet d’appels en instance. Une troisième décision récente de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a confirmé la portée d’un privilège spécial pour les impôts fonciers municipaux. Cet article est le premier d’une série traitant de ces questions.

Virginia Hills: Revendications fiscales linéaires

Dans une ordonnance rendue par l’honorable juge Yamauchi de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta le 20 juin 2017, dans l’affaire de la mise sous séquestre de Virginia Hills Oil Corp. et Dolomite Energy Inc., la Cour a ordonné que :

 »... les créances fiscales linéaires pré-mise sous séquestre de certaines municipalités formaient des créances non garanties uniquement contre les biens des débiteurs, ne constituaient pas des charges permises contre ces biens lors de la vente de celles-ci, et que les municipalités n’avaient pas d’autres réclamations ou recours à l’égard de ces biens, du produit de la vente de ceux-ci, ou de l’acheteur.

Les débiteurs avaient été déclarés en faillite le 1er mai 2017.

La « propriété linéaire » est définie dans la Municipal Government Act, RSA 2000, c M-26, telle que modifiée (MGA), pour inclure, entre autres, les systèmes d’énergie électrique, les propriétés ferroviaires, les systèmes de télécommunication, les puits et les pipelines.

Dans l'application entendue par le juge Yamauchi, le séquestre et gestionnaire nommé par le tribunal, Alvarez & Marsal Canada Inc. (A&M), a soutenu que les réclamations des municipalités pour les impôts fonciers linéaires n’étaient pas garanties en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, c B-3, dans sa version modifiée (LFI). A&M a présenté plusieurs arguments. Premièrement, A&M a fait référence à l’article 348 de la LGG, qui stipule, en partie, que :

 ». . . les taxes dues à une municipalité a) sont un montant dû à la municipalité, b) sont recouvrables à titre de dette due à la municipalité, c) ont priorité sur les réclamations de toute personne sauf la Couronne, et d) sont un privilège spécial (i) sur le terrain et toute amélioration du terrain, si la taxe est une taxe foncière ...

A&M a soutenu que, d’après les principes d’interprétation des lois, l'« impôt foncier » au sens du paragraphe 348d)(i) n’inclut pas l’impôt foncier linéaire et, par conséquent, le sous-alinéa 348d)(i) ne créait pas de privilège spécial pour les impôts fonciers linéaires impayés. De plus, il n’y avait aucune autre forme de garantie pour les impôts fonciers linéaires impayés en vertu de la LGD.  

Seconde, A&M a fait référence à l’alinéa 136(1)e) de la LFI, qui stipule ce qui suit :

(1) Sous réserve des droits des créanciers garantis, le produit réalisé sur les biens d’un failli est appliqué en priorité de paiement comme suit:

(e) taxes municipales imposées ou prélevées contre le failli, dans les deux années précédant immédiatement la faillite, qui ne constituent pas une créance garantie contre les biens immobiliers ou immeubles du failli, mais n’excédant pas la valeur de l’intérêt ou, dans la province de Québec, la valeur du droit du failli sur le bien à l’égard duquel les taxes ont été imposées telles que déclarées par le syndic;

Ainsi, dans le cas d’une faillite, les taxes municipales qui ne sont pas des créances garanties constituent une créance privilégiée par rapport au produit réalisé à partir de la propriété sur laquelle les taxes ont été imposées, dans la mesure de la valeur du droit du failli sur ce bien.

Troisièmement, A&M a soutenu que même si la Cour devait conclure que les impôts fonciers linéaires pouvaient être garantis au moyen d’un privilège spécial en vertu du sous-alinéa 348d)(i) de la LGC, un tel privilège spécial serait invalidé en vertu de l’article 87 de la LFI parce que le privilège n’avait pas été « enregistré en vertu d’un système d’inscription prescrit avant la date de l’événement initial de la faillite ». L’article 87 se lit comme suit :

(1) Un titre prévu dans une loi fédérale ou provinciale dans le seul ou principal but de garantir une réclamation de Sa Majesté du chef du Canada ou d’une province ou d’un organisme d’indemnisation des accidents du travail n’est valide relativement à une faillite ou à une proposition que si le titre est inscrit en vertu d’un système d’inscription prescrit avant la date du fait de la faillite initiale.

(2) Relativement à une faillite ou à une proposition, un titre visé au paragraphe (1) qui est inscrit conformément à ce paragraphe;

(a) est subordonné aux titres à l’égard desquels toutes les mesures nécessaires pour les rendre opposants à d’autres créanciers ont été prises avant cet enregistrement; et

(b) n’est valide qu’à l’égard des montants dus à Sa Majesté ou à un organisme d’indemnisation des accidents du travail au moment de cet enregistrement, plus tout intérêt ultérieur accumulé sur ces montants.

Dans l’affaire dont la Cour était saisie, aucun enregistrement n’avait été fait à l’égard des demandes d’impôt foncier linéaire des municipalités.  

A&M a soutenu que les municipalités pourraient être considérées comme des mandataires de la Couronne provinciale, en vertu de l’obligation de percevoir des impôts fonciers linéaires en vertu de la LGMM, une obligation qui est déléguée par la province. A&M s’est appuyé sur Medicine Hat (City) c. Canada (Procureur général), [1984] 3 WWR 535, à l’appui de son argument, ainsi que du fait que les évaluations foncières linéaires sont effectuées par un évaluateur désigné par la province de l’Alberta. De plus, A&M a soutenu que les municipalités s’acquittent des fonctions désignées aux provinces dans la Loi constitutionnelle de 1867.

Enfin, A&M a soutenu que même si les municipalités avaient un privilège spécial valide, elles ne seraient pas en mesure de faire valoir un tel privilège parce qu’en vertu de la section 9 de la partie 10 de la MGA, le droit au recouvrement des arriérés de taxes se fait par mandat de détresse et par la vente des biens des débiteurs fiscaux. En cas de faillite, conformément au paragraphe 73(4) de la LFI, les municipalités peuvent recouvrer leurs coûts de mise en difficulté ou de saisie et de vente, mais autrement, le produit de la vente des marchandises faisant l’objet d’une mise en difficulté ou d’une saisie est versé au syndic de faillite.

En fin de compte, le juge Yamauchi s’est prononcé en faveur d’A&M, bien qu’il ne soit pas clair, d’après l’ordonnance, sur quel fondement. Sa Seigneurie a déterminé qu’un privilège spécial en vertu de l’article 348 de la LGG ne garantit que l’impôt foncier non linéaire impayé.  

Certaines municipalités ont interjeté appel de l’ordonnance. L’appel a été plaidé devant la Cour d’appel de l’Alberta le 12 juin 2018. La décision est en attente.

L’issue du présent appel pourrait avoir des répercussions importantes pour les propriétaires ou les titulaires de licence de biens linéaires, y compris les puits et les pipelines, ainsi que pour les autres créanciers de ces parties. Plus précisément, si l’ordonnance du juge Yamauchi est confirmée et que la Cour d’appel conclut que les impôts fonciers linéaires ne constituent pas des créances garanties dans le cadre d’une faillite (ou dans d’autres procédures d’insolvabilité, d’après l’interprétation de l’article 348 de la LGA), qui peut modifier sensiblement la probabilité que d’autres créanciers soient recouvré dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité.

Incertitude supplémentaire : Reid-Built Homes Ltd.

Dans les motifs de judissement émis le 21 février 2018, l’honorable juge Graesser de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a statué que la demande d’impôt foncier de la Ville d’Edmonton avait priorité sur les accusations ordonnées par le tribunal pour les honoraires de séquestre et les emprunts approuvés par le séquestre. Là encore, A&M a agi à titre de séquestre et de gestionnaire nommé par le tribunal de Reid-Built Homes Ltd. et des débiteurs liés (collectivement, « Reid-Built »).

La Ville d’Edmonton a soutenu qu’elle devrait avoir priorité sur les accusations ordonnées par le tribunal, et a présenté une demande d’ordonnance exemptant ses réclamations d’impôt foncier des dispositions de super-priorité de l’ordonnance de mise sous séquestre.

Justice Graesser a conclu que la position de la Ville d’Edmonton « peut être à juste titre subordonnée aux honoraires, débours et emprunts du séquestre tels qu’ils peuvent finalement être répartis entre les créanciers ». Toutefois, le juge Graesser a conclu que l’affaire ne s’arrête pas là — l’ordonnance de mise sous séquestre doit correspondre aux circonstances de l’affaire, et les décisions sont à la discrétion du tribunal.

De même, la procédure de mise sous séquestre de Reid-Built impliquait un processus de liquidation, et non une restructuration. La Ville d’Edmonton a soutenu qu’il n’y avait aucun avantage apparent à elle en raison de ce type de mise sous séquestre et qu’il n’y avait donc aucune raison pour laquelle la Ville devrait être subordonnée à tout emprunt du séquestre.

Justice Graesser a conclu que « bien que la Cour ait le pouvoir de subordonner les réclamations fiscales municipales aux coûts de la mise sous séquestre (tels qu’ils peuvent être répartis entre la municipalité), ce n’est pas un cas approprié pour le faire. Dans ce cas, les frais du séquestre et le pouvoir d’emprunt ne se classent pas avant les demandes d’impôt foncier d’Edmonton.

Justice Graesser a soutenu que:

A&M interjette appel de la décision du juge Graesser, faisant valoir que les honoraires, les dépenses et les emprunts raisonnables du séquestre nommé par le tribunal devraient constituer des frais de super-priorité de premier rang avant toutes les autres réclamations, y compris les réclamations des municipalités pour les impôts impayés.   L’appel doit être entendu le 7 février 2019.

La portée de la garantie pour les impôts fonciers: Regent Resources Ltd.

Le 22 juin 2018, l’honorable juge Horner de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a entendu une demande d’Ernst &Young Inc. (EYI), le séquestre nommé par le tribunal des actifs de Regent Resources Ltd., en vue d’obtenir une ordonnance déclarant que le privilège spécial revendiqué par le comté de Cardston, en Alberta, en vertu de l’article 348 de la LGG à l’égard des impôts fonciers impayés (non linéaires) rattachés uniquement à la propriété spécifique qui était assujettie à ces taxes, et pas à tous les actifs du débiteur, Regent Resources Ltd.

Dans cette affaire, le comté de Cardston a revendiqué et avait enregistré un privilège spécial pour les impôts fonciers non linéaires en vertu de l’article 348 de la LGA. Le séquestre avait payé les impôts fonciers municipaux dus sur le produit de la vente de la propriété assujettie à ces impôts fonciers. Aucun actif de Regent situé dans le comté de Cardston n’avait été vendu; le séquestre avait plutôt renoncé à tous ces actifs.   Toutefois, le comté de Cardston a affirmé que son privilège spécial de plus de 118 000 dollars était attaché à tous les actifs de Regent, quel que soit l’endroit où ces fonds étaient situés, et que son privilège spécial sur tous les actifs de Regent avait priorité sur tous les créanciers, y compris les créanciers garantis de Regent.

EYI a souligné que le comté de Cardston cherchait à attacher son privilège extra-municipal à la propriété dans d’autres municipalités, ce qui appliquerait effectivement les règlements d’imposition du comté de Cardston en dehors de ses limites, en violation de la MGA. De plus, l’interprétation du comté de Cardston ferait en sorte que le privilège du comté de Cardston s’étendrait aux propriétés situées dans d’autres municipalités sur lesquelles les impôts fonciers évalués avaient déjà été payés. Un privilège spécial de portée générale serait également « une super-priorité invisible » dont les acheteurs et les prêteurs n’auraient pas été avisés.

EYI a fait valoir que l’argument du comté de Cardston donnerait des conséquences absurdes, et a fourni plusieurs exemples hypothétiques à cet égard. Conformément à la loi principes d’interprétation, les conséquences absurdes sont présumées ne pas être intentionnelles.

La juge Horner était d’accord avec la position d’EYI selon laquelle le privilège spécial revendiqué par le comté de Cardston n’accordait pas au comté de Cardston une garantie flottante sur tous les actifs de Regent, peu importe où ils se trouvaient. Le privilège était plutôt limité à la propriété évaluée sur laquelle les taxes sont dues et, par implication, et par l’exploitation de la MGA, le privilège était limité aux biens situés à l’intérieur des limites de la municipalité. Madame la juge Horner a également fait remarquer qu’une municipalité n’est pas laissée sans recours si son privilège spécial est limité à ses propres limites. Une municipalité peut obtenir un jugement pour les impôts impayés et exécuter ce jugement contre les actifs du débiteur, à l’intérieur ou même à l’extérieur de l’Alberta si le jugement est enregistré à l’extérieur de la province.

Questions en suspens

Il reste à voir ce que la Cour d’appel de l’Alberta conclura dans les appels de Virginia Hills et de Reid-Built mentionnés en l’espèce. Les répercussions, dans les deux cas, sont importantes pour les participants volontaires et non disposés aux procédures d’insolvabilité en Alberta.

Kelsey Meyer est membre du Bennett Jones Insolvency and Restructuring Group. Si vous avez des questions au sujet de ce qui précède ou si vous avez besoin d’un conseiller juridique concernant des questions d’insolvabilité, veuillez communiquer avec Kelsey Meyer ou un autre membre du groupe insolvabilité et restructuration de Bennett Jones .

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