Le dernier mot sur l’histoire législative subséquente et la RGAE

01 novembre 2016

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Écrit par Jared A. Mackey

Deux décisions récentes de la Cour de l’impôt concernant la règle générale anti-évitement (RGAE), Univar Holdco Canada ULC c. La Reine, 2016 TCC 159 [Univar] et Oxford Properties Group Inc c. La Reine, 2016 CCI 204 [Oxford Properties], ont ajouté à l’éventail de jurisprudence incohérente et controversée sur le rôle de l’historique législatif subséquent dans l’analyse de la RGAE.

Lorsqu’on interprète des lois, comme la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada), le point de vue déterminant pour le tribunal est la disposition en vigueur lorsque les faits ou l’opération en cause ont pris naissance.  Le tribunal doit examiner ces mots dans leur contexte global et dans leur sens grammatical et ordinaire en harmonie avec l’esprit de la Loi, l’objet de la Loi et l’intention du législateur.  Dans l’exercice d’interprétation, tout historique législatif antérieur de la disposition pertinente est un moyen précieux et largement accepté de discerner le contexte et l’intention du législateur.  Toutefois, lorsqu’une disposition a été modifiée par la suite, après la survenance des faits ou de l’opération, quel rôle cet « historique législatif subséquent » peut-il jouer dans la clarification rétroactive du sens et de l’intention?

Dans l’interprétation de la Loi, particulièrement dans le contexte de la RGAE, de nombreux tribunaux canadiens ont accordé à l’historique législatif subséquent un poids important en matière de preuve dans le processus d’interprétation. Dans une affaire de RGAE portant sur des dispositions ayant des antécédents législatifs subséquents, deux arguments concurrents se posent. D’une part, le ministre peut soutenir que la modification a comblé une échappatoire afin de mieux reconnaître une politique fiscale préexistante dans la Loi et d’éviter des résultats anormaux et incohérents. En d’autres termes, l’amendement est la preuve d’une intention du Législateur qui n’avait pas été exprimée auparavant. En revanche, le contribuable peut faire valoir que la modification a démontré que le Parlement a d’abord encouragé ou au moins permis certaines opérations ou structures fiscales, mais qu’il a ensuite fait un choix délibéré de modifier la politique fiscale de la Loi pour les refuser.

La jurisprudence canadienne de la RGAE sur l’utilisation appropriée de l’historique législatif subséquent a été en proie à des incohérences et à des points de vue divergents. Dans un groupe d’affaires, les tribunaux se sont entendus avec le ministre, concluant qu’une modification subséquente à la Loi étayait la conclusion selon laquelle les opérations effectuées par le contribuable contrevenaient à l’objet, à l’esprit et à l’objet de la Loi au moment où les opérations ont été effectuées. Un exemple récent est fourni dans Univar. Dans cette affaire, la Cour de l’impôt a tenu compte d’une modification proposée au paragraphe 212.1(4) annoncée dans le budget fédéral de mars 2016 à l’appui de sa conclusion selon laquelle les opérations effectuées par le contribuable en 2007 ont contrecarré une politique sous-jacente de la Loi à ce moment-là. Selon la Cour, l’amendement a démontré que le parlement cherchait à reconnaître et à clarifier une politique fiscale préexistante dans la Loi (aux para 97-98) :

La modification proposée ne modifie pas rétroactivement la loi, mais modifie simplement le paragraphe tout en incorporant sa justification sous-jacente telle qu’elle existait au moment des opérations dans le présent appel. Les renseignements supplémentaires [publiés par le ministère des Finances avec le budget de mars 2016] traitent directement de l’objet et de la portée prévue de l’exception telle qu’elle s’appliquait en 2007...

[Citant Duncan c. La Reine, 2002 CAF 291]... « cet amendement démontre que le parlement a agi aussi rapidement qu’il le pouvait pour combler l’échappatoire exploitée par les appelants précisément parce que le résultat obtenu était anormal compte tenu de l’objet et de l’esprit des dispositions pertinentes de la Loi ».

Parmi les exemples de conclusions semblables, mentionnons les décisions de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Duncan c. La Reine, 2002 CAF 291 (sous-nom. Water’s Edge Village Estates (Phase II) Ltd c. La Reine), la Cour de l’impôt dans l’affaire Triad Gestco Ltd c. La Reine, 2011 CCI 259, et la Cour du Québec dans l’affaire Ogt Holdings Ltd c Québec (Sous-ministre du Revenu), 2006 QCCQ 6368, af’d 2009 QCCA 191 (RGAE provinciale).

Dans un deuxième groupe d’affaires, les tribunaux ont souscrit à l’argument du contribuable, concluant qu’une modification subséquente a servi de preuve que le parlement a modifié la politique fiscale de la Loi, de sorte que les opérations effectuées par le contribuable n’ont pas contredisant l’objet, l’esprit et l’objet de la Loi au moment pertinent. Un exemple récent est fourni dans Oxford Properties. La Cour de l’impôt a conclu qu’une modification apportée à l’alinéa 88(1)d) en 2012 appuyait une conclusion selon laquelle les opérations effectuées par le contribuable entre 2002 et 2006 ne portaient pas à l’encontre de l’objet, de l’esprit et de l’objet de la Loi (aux para 210-212) :

... à mon avis, l’amendement reflète l’adoption d’une nouvelle politique par le Parlement.

L’amendement a apporté des changements importants à l’objet de la loi. Ce n’est pas un amendement qui a clarifié un objectif existant. À mon avis, il ressort clairement du texte du paragraphe 88(1), tel qu’il se lisait avant la modification, que l’objet du paragraphe était ... Cependant, cela a changé après cet amendement...

... Il s’agit d’un changement important dans la portée des dispositions relatives au bumping; pas de clarification des anciennes dispositions. Lorsqu’il a adopté la modification, le législateur a décidé de réduire considérablement le montant de la majoration d’une participation dans une société de personnes.

Parmi les exemples de conclusions semblables, mentionnons la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Triad Gestco Ltd c. La Reine, 2012 CAF 258, et les décisions de la Cour de l’impôt dans l’affaire Fredette c. La Reine, 2001 DTC 621 (CCI) et Gwartz c La Reine, 2013 CCI 86.

Dans un autre groupe d’affaires, les tribunaux ont refusé d’accorder le moindre poids à la modification subséquente comme preuve de la question de savoir si le contribuable avait abusé ou abusé de l’objet, de l’esprit et de l’objet de la Loi. Parmi les exemples, mentionnons les décisions de la Cour de l’impôt dans l’affaire Landrus c. La Reine, 2008 TCC 274 af’d 2009 CAF 259 et 1207192 Ontario Ltd c. La Reine, 2011 TCC 383, décédé en 2009 CAF 113.

Notamment, dans la jurisprudence existante de la RGAE, les tribunaux ont ostensiblement ignoré une jurisprudence non fiscale importante qui a considérablement limité le rôle de l’historique législatif subséquent en tant qu’outil d’interprétation des lois. Parmi les exemples importants, mentionnons l’affaire Association des employés de la radio et de la télévision du Canada c. Société Radio-Canada, [1975] 1 RCS 118; États-Unis d’Amérique c. Dynar, [1997] RCS 462; Mandavia v Central West Health Care Institutions Board, 2005 NLCA 12; La Reine c. Banks, 2007 ONCA 19; Canada (Commissaire de la concurrence) c Premier Career Management Group Corp, 2009 CAF 295; Brick Protection Corp c. Alberta (Trésorier provincial), 2011 ABCA 214; et Bradshaw c. Stenner, 2012 BCCA 481. Ces tribunaux, ainsi que des commentateurs universitaires, ont avancé plusieurs objections contre le recours à l’historique législatif subséquent (voir par exemple Pierre-André Côté, The Interpretation of Legislation in Canada, 4e édition (Toronto: Thomson Reuters Canada Ltd, 2011), p. 563-673; Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e édition (Markham: LexisNexis Canada Inc, 2014), p. 675-679) :

  1. Pour parvenir à une interprétation judicieuse d’un texte législatif, un tribunal doit déterminer et tenir compte de l’objet de la loi, c’est-à-dire des objectifs que le législateur espérait atteindre. Étant donné que le législateur qui a adopté une disposition n’est pas au courant de l’historique législatif subséquent, les modifications ne peuvent fournir aucune indication quant à son intention au moment de la loi initiale.
  2. Toute information qui peut être glanée à partir de l’historique législatif ultérieur est ambiguë. Si un tribunal est saisi de l’interprétation appropriée d’une disposition, il ne sera généralement pas clair si un amendement a modifié la loi ou simplement clarifié la loi. Comme il a été mentionné ci-dessus, le ministre et le contribuable ont des arguments contradictoires dans presque toutes les affaires de RGAE portant sur des dispositions ayant des antécédents subséquents.
  3. Le fait de se fier à l’historique législatif subséquent peut donner un poids excessif à l’opinion interprétative d’un législateur subséquent. Tel que décrit par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt États-Unis d’Amérique c. Dynar, [1997] RCS 462 (au para 45):
    ... Ce que les commentateurs juridiques appellent « l’historique législatif ultérieur » ne peut jeter aucune lumière sur l’intention du Parlement ou de l’Assemblée législative qui a adopté la loi. Tout au plus, les textes législatifs subséquents révèlent l’interprétation que le Parlement actuel fait du travail d’un prédécesseur. Et, en matière d’interprétation juridique, c’est le jugement des tribunaux et non des législateurs qui compte. Il appartient aux juges de déterminer quelle était l’intention du parlement adoptant.
  4. Il est interdit de se fier à l’historique législatif subséquent par la Loi d’interprétation fédérale (et ses homologues provinciaux). Le paragraphe 45(3) de la Loi d’interprétation prévoit ce qui suit : « La modification ou l’abrogation d’un texte législatif, en tout ou en partie, n’est pas réputée comporter une déclaration quant à l’état antérieur du droit. » Une modification ne doit donc pas donner lieu à une présomption automatique d’intention du législateur.
  5. Le recours à l’historique subséquent risque de contrediser la règle interdisant la rétroactivité des lois.

Bien que les objections qui précèdent s’appliquent de façon générale aux interprétations de la Loi et de l’application de la RGAE, elles ont été largement ignorées dans la jurisprudence de la RGAE. Plusieurs tribunaux qui ont examiné la RGAE semblent avoir traité le simple fait qu’une modification a été apportée comme une preuve indépendante à l’appui de leur point de vue sur l’objet, l’esprit et l’objet des dispositions de la Loi à l’étude. Ainsi, dans certains cas, la modification était la preuve que le Parlement avait comblé une échappatoire afin de mieux reconnaître une politique fiscale préexistante dans la Loi, tandis que dans d’autres cas, la modification était la preuve que le Parlement avait fait un choix délibéré de modifier une politique dans la Loi.

La préoccupation à l’égard de ces décisions n’est pas la conclusion qu’une modification représentait une clarification ou un changement de politique, mais le poids apparemment indépendant de la preuve accordé au fait qu’une modification a eu lieu. En pratique, les tribunaux arrivent à une conclusion initiale à l’égard d’une politique de la Loi, à la suite d’une analyse de l’ensemble du contexte législatif. Ensuite, l’historique législatif subséquent est autorisé à prendre une valeur probante supplémentaire et injustifiée à l’appui de la conclusion de la cour.

L’importance d’une modification subséquente ne peut être discernée qu’une fois que l’objet, l’esprit et l’objet des dispositions pertinentes de la Loi, en vigueur au moment où les faits ou l’opération en cause ont pris naissance, ont été déterminés avec exactitude. On ne peut pas distinguer si une modification clarifie ou modifie une politique préexistante dans la Loi à moins et jusqu’à ce que cette politique préexistante soit établie. En termes simples, l’incidence d’une modification subséquente n’est comprise qu’une fois que l’analyse de l’ensemble du contexte législatif est terminée.

Quel rôle, le cas échéant, l’historique législatif subséquent devrait-il jouer dans l’analyse de la RGAE? Bien que la Loi d’interprétation interdise légalement de se fier à l’historique législatif subséquent comme présomption automatique d’intention du législateur, elle n’élimine pas complètement son utilisation comme aide à l’interprétation. Dans certains cas, l’historique législatif subséquent peut conserver un rôle limité dans le processus d’interprétation. La valeur ne réside pas dans l’occurrence factuelle d’une modification, mais dans les déclarations d’intention concurrentes du Parlement, y compris les notes explicatives, les communiqués budgétaires et d’autres commentaires du ministère des Finances. Il y a peut-être des raisons de trouver ces expressions convaincantes. Les bureaucrates du ministère des Finances qui rédigent des modifications demeurent souvent malgré un changement de gouvernement et conservent une bonne compréhension du régime législatif initial et de la raison pour laquelle une modification est nécessaire. Bien entendu, ces déclarations ne sont que des opinions, représentant l’interprétation de la Loi que le législateur actuel place sur le travail de son prédécesseur. De plus, les remarques du législateur actuel comportent le risque inhérent d’être intéressées, et particulièrement dans le contexte de la RGAE. Les tribunaux doivent aborder ces déclarations avec prudence. Dans la plupart des cas, leur valeur persuasive pourrait être considérée comme analogue aux déclarations administratives de l’ARC et aux commentaires universitaires notables.

En attribuant un poids indépendant à la preuve aux modifications subséquentes à l’appui des conclusions concernant l’objet, l’esprit et l’objet des dispositions de la Loi, la jurisprudence sur la RGAE dont il est question ci-dessus a causé beaucoup d’incertitude et de confusion dans la loi. Les contribuables et le ministre continuent donc de soulever des arguments inappropriés et contradictoires au sujet de l’importance indépendante de la preuve de l’historique législatif subséquent. Les tribunaux doivent faire une déclaration claire : les modifications subséquentes, en elles-mêmes, ne sont pas pertinentes pour établir l’objet, l’esprit et l’objet des dispositions de la Loi.

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