Le 26 novembre 2021, la Cour suprême du Canada (la CSC) a rendu sa décision très attendue dans Canada c Alta Energy Luxembourg SARL, 2021 CSC 49 [Alta Energy Lux], qui traitait des structures de détention fondées sur des traités et de l’application de la règle générale anti-évitement (RGAE). Dans une majorité de 6 contre 3, la CSC a statué que la RGAE ne s’appliquait pas aux opérations en cause qui ont fait en sorte que la contribuable, Alta Energy Luxembourg S.A.R.L. (Alta Lux), n’était pas assujettie à l’impôt canadien sur le gain réalisé sur la vente de sa filiale pétrolière et gazière canadienne en vertu des dispositions de la Convention fiscale entre le Canada et le Luxembourg (la Convention de Lux).
Cette décision est une nouvelle de confirmation pour les contribuables qui se sont toujours fiés à des structures de détention fondées sur des conventions conventionnelles pour détenir leurs intérêts dans des biens immobiliers et miniers canadiens. Il est important de noter que la décision ne profitera généralement qu’aux contribuables qui ont réalisé des gains protégés par une convention fiscale au cours des années d’imposition commençant avant le 1er juin 2020, y compris en raison d’opérations d'« augmentation progressive » de l’assiette fiscale interne, puisque depuis le 1er juin 2020, de nombreuses conventions fiscales bilatérales du Canada, y compris la convention de Lux invoquée dans l’arrêt Alta Energy Lux, sont assujetties aux limites de chalandage fiscal imposées par leConvention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures liées aux conventions fiscales visant à prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (l’INSTRUMENT MULTILATÉRAL).
Alta Energy Partners, LLC (Alta US LLC), une LLC du Delaware formée en 2011 par une société pétrolière et gazière basée au Texas et une société de capital-investissement basée à New York, a constitué Alta Energy Partners Canada Ltd. (Alta Canada) en Alberta, en tant que filiale en propriété exclusive d’Alta US LLC, pour exercer une activité d’huile de schiste non conventionnelle dans la formation de schiste de Duvernay dans le nord-ouest de l’Alberta. Les actions d’Alta Lux constituaient des biens canadiens imposables aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada). Dans le cadre d’une restructuration en 2012, Alta US LLC a vendu toutes ses actions d’Alta Canada au prix coûtant à Alta Lux, alors nouvellement formée, qui était entièrement détenue par une nouvelle société de personnes canadienne.
En 2013, Alta Lux a vendu Alta Canada à Chevron Canada Ltd., un acheteur sans lien de dépendance, et a réalisé un gain en capital de plus de 380 millions de dollars qui, en l’absence d’allègement en vertu de la Convention de Lux, aurait été entièrement imposable au Canada à titre de disposition de biens canadiens imposables. Alta Lux a demandé un allègement de l’impôt canadien en vertu des paragraphes 13(4) et (5) de la Convention de Lux, en vertu desquels les gains qu’un résident du Luxembourg tire de l’aliénation d’actions d’une société tirant leur valeur principalement de biens immobiliers situés au Canada dans lesquels l’entreprise de la société a été exploitée (l’exemption du Traité sur les biens immobiliers), sont exonérés de l’impôt canadien sur le revenu et ne sont plutôt imposables qu’au Luxembourg. En vertu de la législation fiscale luxembourgeoise, le gain était admissible à une exonération complète.
Le ministre a rejeté l’exemption relative aux conventions immobilières et Alta Lux a interjeté appel devant la Cour de l’impôt. La Cour de l’impôt a statué que l’exemption relative aux conventions foncières s’appliquait et que la RGAE ne s’appliquait pas. La Couronne a ensuite interjeté appel de la décision de la Cour de l’impôt concernant la RGAE (mais pas des conclusions de la Cour de l’impôt concernant l’application de l’exemption découlant des conventions foncières) devant la Cour d’appel fédérale, où Alta Lux a de nouveau réussi à faire valoir que la RGAE ne s’appliquait pas. Pour de plus amples renseignements sur les décisions de la Cour de l’impôt et de la Cour d’appel fédérale, veuillez consulter les renseignements suivants de Bennett Jones :
La CSC s’est demandé si la RGAE empêchait Alta Lux de s’appuyer sur le Traité de Lux pour protéger son gain de l’impôt canadien. Pour que la RGAE s’applique, il doit y avoir (1) un avantage fiscal; 2° une opération d’évitement; et (3) l’opération d’évitement doit avoir été abusive. Alta Lux a concédé l’existence d’un avantage fiscal et d’une opération d’évitement. Par conséquent, la seule question en litige devant la CSC était de savoir si les transactions entreprises pour bénéficier du traité Lux étaient abusives. La majorité de la CSC a statué que lorsque les dispositions fiscales sont rédigées avec « précision et détail », une interprétation en grande partie textuelle est appropriée à la lumière du principe du duc de Westminster, qui stipule que « les contribuables ont le droit d’organiser leurs affaires de manière à réduire au minimum le montant de l’impôt à payer ». La CSC a également expliqué que l’évitement fiscal n’est pas de l’évasion fiscale et que l’évitement fiscal ne devrait pas être confondu avec l’abus – concevoir une opération à des fins d’évitement fiscal et non à des fins non fiscales de bonne foi « ne signifie pas qu’elle est nécessairement abusive au sens de la RGAE ». De plus, les juges majoritaires ont expliqué que les tribunaux ne devraient pas confondre l’analyse de l’abus avec une analyse de moralité – les juges ne devraient pas prendre de décisions fondées sur la valeur de ce qui est bien ou mal en fonction de théories sur ce que le droit fiscal devrait être ou devrait faire. Pour de plus amples renseignements sur les commentaires de la CSC concernant le principe du duc de Westminster et la distinction entre (1) l’évitement fiscal et l’évasion fiscale et (2) et l’immoralité et l’abus, veuillez consulter le Mise à jour sur l’impôt sur le revenu de la Cour suprême du Canada : La RGAE ne s’applique pas au chalandage fiscal.
Les juges majoritaires ont insisté sur la double nature contractuelle et législative des conventions fiscales et sur l’importance de tenir compte de l’élément contractuel lorsqu’on applique la RGAE aux conventions fiscales afin de concentrer l’analyse sur la question de savoir si la planification fiscale en cause est conforme aux compromis conclus par les États contractants.
En ce qui concerne les règles de résidence énoncées aux articles 1 et 4(1) du Traité de Lux, la majorité a fait remarquer qu’il était loisible au Canada et au Luxembourg de définir la résidence dans une société sur la base de l’une ou l’autre des deux méthodes de résidence internationale d’entreprise largement acceptées: (1) la règle du « siège légal » ou (2) la règle du « siège réel ». Le Canada et le Luxembourg ont choisi d’utiliser la règle du siège légal pour déterminer la résidence d’une société aux fins du Traité de Lux, en vertu duquel la résidence d’une société est déterminée en mettant l’accent sur l’endroit où une société a été constituée, par opposition à la règle des sièges réels qui met l’accent sur l’endroit où une société est gérée efficacement. Le ministre, bien qu’il ait accepté qu’Alta Lux était un résident du Luxembourg aux fins du Traité de Lux, a fait valoir qu’Alta Lux ne devrait pas avoir droit aux avantages de la convention parce qu’elle n’avait pas de « liens économiques substantiels suffisants » avec le Luxembourg. Les juges majoritaires ont rejeté l’argument du ministre selon lequel des « liens économiques substantiels suffisants » ont été rejetés et ont conclu que l’objet, l’esprit et le but des articles 1er et 4(1) du Traité de Lux sont « de permettre à toutes les personnes qui sont des résidents en vertu des lois de l’un des États contractants ou des deux de demander des avantages en vertu de la Convention [de Lux] tant que leur statut de résident pourrait les exposer à une obligation fiscale totale (qu’il y ait ou non une imposition réelle) ».
Ensuite, les juges majoritaires ont déterminé que l’objet, l’esprit et le but de l’exemption prévue aux articles 13(4) et (5) du Traité de Lux sont les suivants :
[traduction] . . . de favoriser l’investissement international en exonérant les résidents d’un État contractant de l’impôt dans l’État de la source sur les gains en capital réalisés lors de la disposition de biens immeubles dans lesquels une entreprise a été exploitée, ou sur la disposition d’actions dont la valeur provient principalement de ces biens immobiliers.
En arrivant à cette conclusion, la majorité a souligné que l’exemption relative aux traités sur les biens immobiliers ne figure que dans un petit nombre de conventions fiscales du monde et que l’objet de l’inclusion représente une dérogation à la théorie générale de l’allégeance économique contenue dans d’autres parties de l’article 13 du Traité de Lux, en vertu de laquelle les parties à une convention attribuent le droit de percevoir des impôts à l’État contractant le plus étroitement lié au revenu et contribuable. Les juges majoritaires ont plutôt déclaré que l’objet principal de l’exemption relative aux traités sur les biens immobiliers est d’attirer des investissements étrangers. De plus, le Canada a conclu la Convention de Lux en sachant que le Luxembourg pouvait être considéré comme un paradis fiscal, mais il n’a pas insisté sur l’inclusion d’une règle anti-évitement spécifique visant à empêcher les sociétés intermédiaires, comme Alta Lux, d’obtenir des avantages de la convention. De l’avis de la majorité, l’absence d’une telle règle anti-évitement spécifique était délibérée et représentait un élément contextuel et téléaprès important de l’exemption relative aux traités sur les biens immobiliers qui renforçait davantage le fait que l’objet, l’esprit et le but de l’exemption relative aux traités sur les biens immobiliers étaient de profiter économiquement au Canada en encourageant l’investissement étranger plutôt qu’en percevant des recettes fiscales.
La majorité de la CSC a conclu que l’objet, l’esprit et le but des règles de résidence énoncées aux articles 1 et 4(1) du Traité de Lux et l’exemption relative au Traité sur les biens immobiliers aux articles 13(4) et (5) du Traité de Lux n’étaient pas contrecarrés ou frustrés par les opérations en cause et que, par conséquent, la ministre ne s’est pas acquittée de son fardeau d’établir que les opérations étaient abusives. Les juges majoritaires ont conclu que l’exemption relative aux conventions foncières visait à attribuer des droits d’imposition au Luxembourg pour le gain réalisé par Alta Lux lors de la disposition d’actions d’Alta Canada et que le fait que moins d’impôt était payable au Luxembourg que ce qui aurait été payable au Canada n’était pas important car « la question soulevée par la RGAE est l’incidence de l’imposition canadienne, et non la perte de recettes par les autorités fiscales luxembourgeoises.
Les trois juges dissidents ont conclu que l’objet, l’esprit et le but des dispositions pertinentes de la Convention de Lux étaient de céder des droits d’imposition à l’État ayant le « lien économique le plus étroit avec le revenu du contribuable ». Étant donné qu’Alta Lux n’avait pas de « véritables liens économiques avec le Luxembourg », la dissidence a conclu que le recours d’Alta Lux à l’exemption relative au Traité sur les biens immobiliers irait à l’encontre de la raison d’être des dispositions en cause et était donc abusif. La dissidence a estimé que la présence d’Alta Lux au Luxembourg « n’est pas authentique, c’est un simple gossamer ». De l’avis dissident, le Canada et le Luxembourg n’auraient pas pu avoir l’intention que le Traité de Lux soit utilisé pour fournir un mécanisme permettant aux résidents d’États tiers de bénéficier indirectement du Traité de Lux en faisant appel à une société intermédiaire résidente du Luxembourg pour investir au Canada.
Pour les partenaires de convention du Canada qui ont ratifié l’IM, comme le Luxembourg et les Pays-Bas, l’IM est entrée en vigueur pour les retenues d’impôt le 1er janvier 2020 et pour les autres impôts, y compris les gains en capital, pour les années d’imposition commençant le 1er juin 2020 ou après cette date. L’IM modifie effectivement les conventions fiscales entre les pays qui ont ratifié l’IM, sans que chaque pays ait besoin de renégocier spécifiquement avec chacun de ses partenaires de convention fiscale.
L’INSTRUMENT MULTILATÉRAL contient un vaste critère anti-évitement relatif à l’objet principal qui peut refuser un avantage découlant d’une convention, comme l’exemption découlant d’un traité sur les biens immobiliers, lorsque l’obtention de l’avantage était un « objet principal » d’une opération ou d’un arrangement particulier, à moins que l’octroi de l’avantage ne soit conforme à l’objet et au but de la disposition de la convention applicable. Pour plus d’informations sur le PPT et l’IM, veuillez consulter les idées suivantes de Bennett Jones:
L’IM n’était pas en vigueur lorsque Alta Lux a vendu ses actions d’Alta Canada à Chevron, elle n’était donc pas pertinente en l’espèce, mais elle serait pertinente si une transaction semblable était mise en œuvre aujourd’hui. Tant la majorité que la dissidence de la CSC ont fait des commentaires qui sont susceptibles d’être pertinents à l’avenir.
Les juges majoritaires ont fait remarquer que le Canada avait inclus des critères d’objet distinct dans diverses conventions fiscales conclues avec d’autres pays à peu près au même moment où le Canada et le Luxembourg ont conclu le Traité de Lux (p. ex. le Nigéria, l’Ukraine, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan et le Pérou). Ces critères d’objet ont été conçus pour refuser certains avantages prévus par la convention lorsque l’objet d’une opération était d’avoir accès à de tels avantages. Les juges majoritaires de la CSC ont déclaré que la création d’une société intermédiaire au Luxembourg pour accéder à l’exemption du Traité sur les biens immobiliers aurait très probablement été visée par un tel critère d’objet. Notamment, ces critères d’objet ne contiennent pas de libellé semblable à la partie de la ppt relative à la sauvegarde, qui empêche le PPT de s’appliquer lorsque l’octroi de l’avantage est conforme à l’objet et au but de la disposition applicable de la convention. Compte tenu des conclusions de la majorité concernant l’objet, l’esprit et l’objet de la Convention de Lux et de l’Exemption relative à la Convention sur les biens immobiliers, il est loisible aux contribuables de soutenir que le PPT ne devrait pas s’appliquer dans des circonstances similaires à celles de Alta Energy Lux en raison de la partie économisée du PPT.
Les contribuables qui investissent dans des biens immobiliers et des biens miniers canadiens au moyen de structures de détention fondées sur des conventions doivent être conscients des risques et des obstacles supplémentaires que l’IM a créés. La décision de la CSC dans l’affaire Alta Energy Lux, bien qu’elle soit utile pour les contribuables qui utilisaient des structures de détention fondées sur des conventions avant l’entrée en vigueur de l’instrument multilatéral, offre moins de confort aux contribuables ayant des structures de détention fondées sur des conventions dans ce nouveau monde de l’IM.
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