La Cour d’appel de la Colombie-Britannique s’est récemment prononcée à l’effet que les experts en structures assument, envers le propriétaire d’un bâtiment, une obligation de diligence prima facie aux termes de laquelle ils doivent s’assurer que le bâtiment en question ne souffre d’aucun vice ou autre défaut susceptible de compromettre la santé ou la sécurité de ses occupants.
Au cours de l’année 2017, 113407 B.C. Ltd. a confié à DB Services of Victoria Inc. (DB) le mandat de concevoir et d’ériger un immeuble résidentiel de 11 étages au cœur de la municipalité de Langford, en Colombie-Britannique. DB, à son tour, a retenu les services de la firme Sorenson Trilogy Engineering Ltd. (STE), pour agir à titre d’ingénieur en structure. La Cour a souligné que même si STE ne disposait pas de l’expertise lui permettant de fournir des services d’ingénierie structurelle en regard d’un immeuble de cette envergure, elle avait néanmoins entrepris de le faire.
Une fois le bâtiment construit, d’importantes faiblesses structurelles furent découvertes, et la municipalité de Langford révoqua le permis d’occupation qu’elle avait octroyé. Dans l’intervalle, la société de portefeuille qui était propriétaire de l’immeuble avait été vendue à Centurion Apartment Properties (Centurion). Or cette dernière, qui souhaitait recouvrer les pertes associées aux coût des réparations nécessaires, entreprit de poursuivre DB et STE pour négligence et bris de contrat.
La Cour suprême de la Colombie-Britannique conclut ultimement que parce que « tout lien de proximité […] avait été anéanti en raison de l’entente contractuelle multipartite intervenue entre [les parties pertinentes] », l’ingénieur n’assumait aucune obligation de diligence envers le propriétaire. Centurion fit appel de cette décision.
DB ayant déclaré faillite à la suite du dépôt de l’appel, toutes les réclamations produites à son encontre furent suspendues. En pratique, la principale question soumise à la juridiction de la Cour d’appel était de savoir si oui ou non il existait entre STE et Centurion un lien de proximité suffisant pour donner naissance à une obligation de diligence prima facie permettant à Centurion de justifier l’introduction d’une poursuite civile fondée sur la négligence.
La Cour d’appel, dans le cadre de son analyse, s’en remit au critère de l’arrêt Anns qui, une fois adapté aux circonstances particulières d’un dossier, permet de déterminer s’il existe ou non, entre deux parties, une obligation de diligence permettant à l’une d’être indemnisée en raison de la négligence de l’autre. Selon ce critère, une telle obligation de diligence sera présente dès qu’il existe un lien de proximité suffisant entre les parties concernées.
La Cour d’appel en vint finalement à la conclusion qu’un lien de proximité pouvait être établi entre le propriétaire d’un bâtiment et des experts en structures lorsque ces derniers agissent d’une quelconque manière susceptible de poser un « risque substantiel » à la santé et à la sécurité des occupants de l’immeuble. Or il fut déterminé qu’un tel lien de proximité existait dans le cas sous étude, dans la mesure où STE devait raisonnablement s’attendre à ce que tout manque de diligence de sa part soit susceptible de causer préjudice à Centurion. Par conséquent, les parties étaient liées par une obligation de diligence. Cette conclusion est conforme à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Winnipeg Condominium1.
Il est intéressant de noter que la Cour d’appel en est venue à cette conclusion en l’absence de toute relation contractuelle entre Centurion et STE – cette dernière étant, d’entrée de jeu, un sous-traitant de DB. Aux dires de la Cour, une telle absence de lien de droit contractuel ne pouvait décharger STE de toute responsabilité parce que [traduction] « le devoir du constructeur de faire preuve d’une diligence raisonnable prend naissance indépendamment de toute obligation de nature contractuelle » (paragraphe 95).
La Cour d’appel a également précisé qu’un tel devoir existait en marge de dispositions contractuelles dont l’objectif est de limiter les risques. Bien que les ententes conclues entre STE et DB, tout comme celles liant DB et Centurion, aient contenu des dispositions visant à répartir les risques et à limiter l’étendue de la responsabilité civile, le tribunal expliqua que [traduction] « l’obligation de construire un bâtiment conformément à des normes raisonnables et de manière à ce qu’il soit exempt de dangers prend naissance indépendamment de toute stipulation de nature contractuelle » (paragraphe 88).
La décision de la Cour d’appel confirme que tant les entrepreneurs en construction que leurs experts assument une obligation de diligence envers le propriétaire d’un bâtiment et ce, qu’ils aient ou non transigé directement avec ces derniers ou aient ou non tenté de limiter l’étendue de leur responsabilité civile par voie contractuelle. Une telle réalité prendra tout son sens lorsque l’expert agit d’une manière susceptible d’entraîner un risque réel et substantiel de préjudice. Cela dit, il aurait certainement été utile, au moment du procès, de déterminer dans quelle mesure certaines dispositions contractuelles ayant pour objectif de limiter la responsabilité et/ou d’établir le quantum maximal des dommages-intérêts ont été efficaces.
STE, en date de la publication du présent article, avait porté la décision en appel auprès de la Cour suprême du Canada. Il va sans dire que nous mettrons le dossier à jour au fur et à mesure que de nouveaux renseignements deviendront disponibles.
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1 Winnipeg Condominium Corporation No. 36 c. Bird Construction Co., [1995] 1 RCS 85.