Les détenteurs de brevets canadiens sont présumés avoir droit à une restitution des bénéfices et à une injonction permanente en cas de contrefaçonDans deux appels complémentaires relatifs à des brevets touchant la technologie des guides de programmes de télévision interactifs, la Cour d’appel fédérale a précisé qu’un demandeur qui a gain de cause a droit à une restitution des profits du défendeur liés à la contrefaçon de brevet, à moins que le défendeur ne démontre pourquoi le tribunal ne devrait pas accorder cette réparation. La Cour d’appel a également réitéré qu’une injonction permanente est la réparation attendue découlant de la contrefaçon d’un brevet canadien, même lorsque l’invention brevetée ne constitue qu’une petite partie du produit commercial pertinent, et même lorsque le breveté préfère octroyer des licences, plutôt que de pratiquer lui-même son invention au Canada. HistoriqueDans les affaires Rovi Guides, Inc. c. Vidéotron ltée, 2024 CAF 125, et Rovi Guides, Inc. c Telus Corporation, 2024 CAF 126 (collectivement, les appels Rovi), Rovi (maintenant Adeia) a intenté des recours en contrefaçon de brevets contre les fournisseurs canadiens de télévision interactive Vidéotron, TELUS et Bell Canada. En conclusion, la Cour fédérale a rejeté les allégations de Rovi et a statué que les brevets en cause étaient invalides pour des motifs d’antériorité et d’évidence. Avant de rejeter les recours, la Cour fédérale a toutefois commenté les réparations qu’elle aurait accordées à Rovi si son action avait été accueillie. Le juge de première instance aurait refusé à Rovi la restitution des profits des défenderesses découlant d’une contrefaçon hypothétique en raison de ses « tactiques juridiques impitoyables pour faire pression sur des tiers afin qu’ils demandent des licences d’exploitation de son portefeuille de brevets », de sa « stratégie apparemment délibérée de retarder le traitement de ses brevets », ce qui a créé des problèmes de « patent holdup », et de la complexité du calcul des profits à restituer (voir 2022 CF 874 aux paras 586, 590 et 607, et 2022 CF 1388 aux par 598 et 625-27). Il aurait également refusé à Rovi une injonction permanente en faveur d’une redevance raisonnable parce que l’invention revendiquée ne constituait qu’une petite partie de systèmes complexes de télévision interactive, que Rovi elle-même ne mettait pas en pratique au Canada. Le juge de première instance a écrit qu’il serait inéquitable de permettre à Rovi de créer un problème de « patent holdup » dans de telles circonstances (c.-à-d. permettre à un détenteur de brevet opportuniste d’essayer d’obtenir des redevances de licence plus importantes, voire déraisonnables, une fois qu’un contrefacteur potentiel a déjà lancé un produit), et qu’il était approprié de suivre les principes énoncés dans la décision de 2006 de la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire eBay Inc c. MercExchange, LLC, 547 US 388. La Cour fédérale a commis des erreurs en discutant des réparations en matière de brevetsDans les appels Rovi, la Cour d’appel fédérale a confirmé la conclusion du juge de première instance selon laquelle les brevets de Rovi étaient invalides. Bien que cela aurait été suffisant pour disposer des appels, la Cour a néanmoins scruté l’analyse de la Cour fédérale sur les réparations discrétionnaires en matière de brevets. Au Canada, la restitution des bénéfices est discrétionnaire, mais la Cour d’appel a précisé qu’un demandeur ayant gain de cause pouvait s’attendre à ce qu’une telle réparation lui soit accordée en l’absence d’une preuve l’interdisant. L’exercice du pouvoir discrétionnaire judiciaire exige que l’octroi de réparations discrétionnaires soit guidé par une « régularité raisonnée » fondée sur des principes établis appliqués à des faits particuliers. Par conséquent, la Cour d’appel a fait remarquer que le juge de première instance avait commis une erreur en qualifiant certains facteurs de « neutres » lorsqu’il avait décidé de ne pas accorder la restitution des profits réclamée par Rovi. En fait, ces considérations auraient appuyé l’octroi d’une restitution. La Cour d’appel a également commenté les facteurs que le juge de première instance avait invoqués pour refuser à Rovi la restitution des profits. Le fait que Rovi ait choisi d’octroyer des licences pour ses brevets, plutôt que de pratiquer elle-même les inventions, n’aurait dû « avoir aucun poids ». Il n’importait pas que Rovi n’ait pas envoyé de mises en demeure avant d’intenter ses recours, ou qu’elle n’ait pas spécifiquement identifié les revendications de brevet qu’elle jugeait contrefaites. La Cour d’appel n’a rien vu de problématique dans les pratiques de Rovi en matière d’octroi de licences ou dans l’affirmation énergique de ses droits de brevet. Bien que le fait de retarder stratégiquement l’examen de ses demandes de brevets puisse avoir une incidence sur le droit à des réparations discrétionnaires, le juge de première instance n’avait reçu aucune preuve à propos de la pratique normale et des retards usuels dans la poursuite des brevets, non plus qu’à propos des motifs de Rovi. Néanmoins, la Cour d’appel a confirmé la conclusion du tribunal inférieur selon laquelle la restitution des bénéfices des défenderesses n’était ni fiable ni appropriée dans les circonstances compte tenu de la complexité des méthodes proposées par les experts. La Cour d’appel s’est également distanciée de l’application par la Cour fédérale de l’affaire eBay de la Cour suprême des États-Unis. Elle a réitéré que les injonctions permanentes demeurent le principal recours préventif du droit canadien des brevets, peut-être parce que le droit canadien n’exige aucune démonstration de préjudice irréparable avant qu’une injonction permanente puisse être prononcée. La Cour d’appel fédérale n’a pas accepté qu’un problème de « patent holdup » devrait mener les tribunaux canadiens à abandonner la règle selon laquelle les injonctions permanentes ne devraient être refusées « que dans de très rares circonstances » dans les affaires de brevets. Les propos relatifs aux réparations dans les appels Rovi sont des remarques incidentes, mais ne vous y trompez pas : la Cour d’appel fédérale a confirmé que les brevetés canadiens ont droit aux réparations les plus larges en cas de contrefaçon, y compris la restitution des bénéfices et l’injonction permanente, à moins que des motifs valables et des preuves convaincantes ne soient rassemblés à l’effet contraire. Auteur(e)s
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