Le gouvernement fédéral cible les émissions de pétrole et de gaz dans les modifications au règlement sur le méthane et le plafond d’émissions

12 décembre 2023

Écrit par Brad Gilmour, Sean Assie, Larissa Lees and Tao Browne

Alors que les dirigeants du monde entier se réunissaient à la 28e réunion de la Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP28), le gouvernement fédéral a publié les détails d’un certain nombre d’initiatives stratégiques ciblant les émissions de gaz à effet de serre (GES ou émissions) dans le secteur pétrolier et gazier, y compris les modifications proposées à la réglementation fédérale sur le méthane et un cadre fédéral pour un plafond d’émissions pétrolières et gazières. 1

Les gouvernements de l’Alberta et de la Saskatchewan se sont prononcés fermement contre les initiatives stratégiques ciblant les émissions du secteur pétrolier et gazier, affirmant qu’elles empiètent sur la compétence exclusive des provinces en matière de ressources naturelles. Le rejet provincial de la politique environnementale fédérale a été à l’avant-garde des relations intergouvernementales depuis les deux récentes décisions des tribunaux canadiens selon lesquelles le gouvernement fédéral a outrepassé sa compétence constitutionnelle en matière d’environnement. 2

Ce blogue donne un aperçu de ces initiatives stratégiques et des répercussions possibles sur les litiges et l’élaboration de politiques futurs. 

Approche réglementaire

Approche basée sur la performance

3. Répercussions des initiatives stratégiques sur les émissions du pétrole et du gaz

1. Aperçu des modifications proposées au Règlement sur le méthane dans le secteur pétrolier et gazier

Les règlements sur la réduction du méthane ont été initialement établis par le gouvernement fédéral en 2018 pour atteindre un objectif de réduction du secteur pétrolier et gazier de 40 à 45 % inférieur aux niveaux de 2012 d’ici 2025. 3 Des ententes d’équivalence sont actuellement en place jusqu’en 2024 pour la Saskatchewan et 2025 pour l’Alberta et la Colombie-Britannique, ce qui permet aux provinces d’atteindre ces objectifs en vertu des politiques provinciales.   L’Alberta, conformément à ses propres règlements provinciaux, a atteint la cible de réduction de 45 % du méthane trois ans plus tôt en 2022. 4

Le gouvernement fédéral a d’abord annoncé son intention de réduire les émissions de méthane du secteur pétrolier et gazier d’au moins 75 % par rapport aux niveaux de 2012 d’ici 2030, au moment où il a approuvé l’Engagement mondial sur le méthane lors de la COP26 en 2021. Les modifications proposées visent maintenant à atteindre cette nouvelle cible au moyen de deux approches : (1) approche réglementaire qui impose certaines interdictions, exigences techniques et de surveillance ; et (2) une approche axée sur le rendement qui établit une autre voie de conformité à l’approche réglementaire.

Regulatory Approach

Bien qu’il ne réglemente pas directement la plupart des aspects des activités pétrolières et gazières dans une province, le gouvernement fédéral a proposé des modifications qui ont une incidence sur le fonctionnement de ces activités, y compris en ce qui concerne la ventilation des émissions, les émissions associées à la combustion d’hydrocarbures gazeux et les émissions fugitives.

i) Émissions de ventilation

Une fois mis en vigueur, le règlement modifié sur le méthane interdirait la ventilation sous réserve d’exceptions limitées, notamment : lorsque la ventilation fait partie de l’entretien planifié de l’équipement ou de la dépressurisation temporaire de l’équipement ou d’un pipeline et que des mesures sont prises pour réduire au minimum la quantité qui est évacuée ; la ventilation est nécessaire pour éviter un risque grave pour la santé ou la sécurité humaine découlant d’une situation d’urgence ; le pouvoir calorifique du gaz d’hydrocarbures ou son débit sont insuffisants pour maintenir une combustion stable ; et/ou l’utilisation d’équipement de destruction des gaz d’hydrocarbures ou d’équipement de conservation des gaz d’hydrocarbures prolongerait une interruption de l’approvisionnement en gaz d’hydrocarbures du public. De plus, tout l’équipement sous pression doit être physiquement connecté à l’équipement de conservation ou de destruction. À compter de 2027, les installations qui augmentent la production de gaz seraient tenues de concevoir et d’exploiter des systèmes pour éliminer la ventilation. Toutes les installations du secteur seraient assujetties aux nouvelles exigences en 2030.

ii) Émissions associées à la combustion d’hydrocarbures gazeux

En ce qui concerne le matériel de destruction des gaz d’hydrocarbures, les systèmes de combustion doivent fonctionner avec une flamme pilote ; un dispositif d’allumage automatique et un système automatique de détection des défaillances de flamme ; et lorsque le gaz d’hydrocarbures est acheminé vers le système, il doit maintenir la combustion stable des gaz d’hydrocarbures sans générer d’émission visible et avoir une efficacité de conversion du carbone d’au moins 98 %. Une exception pour les petits volumes de gaz (moins de 60 m3 par jour) permet l’utilisation de systèmes d’oxydation catalytique avec une efficacité d’au moins 85 pour cent.

Le brûlage à la torche, autre que pour éviter un risque grave pour la santé ou la sécurité humaines découlant d’une urgence, doit être appuyé par une étude technique qui conclut que l’utilisation d’hydrocarbures gazeux pour produire de la chaleur ou de l’énergie utile n’est pas possible dans les circonstances. À compter de 2027, les installations qui augmentent leur production de gaz seraient tenues de concevoir et d’exploiter des systèmes visant à limiter les émissions pendant la combustion et à éliminer le brûlage à la torche de routine dans la mesure du possible. Toutes les installations du secteur seraient assujetties aux nouvelles exigences en 2030.   

iii) Émissions fugitives

Les modifications introduisent une approche fondée sur les risques pour les émissions fugitives dans laquelle des calendriers d’inspection plus fréquents sont requis pour les installations plus susceptibles d’émettre du méthane (12 fois par an pour le dépistage et 4 fois par an pour les évaluations complètes), tandis que les installations moins susceptibles d’émettre du méthane nécessiteraient des évaluations annuelles. Lors de la détection des émissions fugitives, la réparation de l’équipement doit être effectuée dans le délai de réparation autorisé, ce qui dépend du débit d’émissions (c.-à-d. que des émissions plus élevées devraient être traitées dans les 24 heures ou 7 jours, tandis que les émissions plus faibles peuvent être traitées sur plusieurs mois. Les mesures proposées entreraient en vigueur en 2027 pour toutes les installations.

Performance-Based Approach

L’approche axée sur le rendement proposée établit une autre approche pour la conformité aux exigences relatives à la ventilation et aux émissions fugitives. Les installations peuvent plutôt choisir d’installer des systèmes de surveillance continue pour les sources potentielles d’émissions de méthane de l’installation. Lors de la détection des émissions de méthane, une réponse d’atténuation doit être lancée selon les délais dictés par le taux d’émission. Lorsque les émissions détectées dépassent un déclencheur de gestion de 10 kg/h, une analyse d’événement devrait également être effectuée dans le cadre des mesures d’atténuation. Cette approche alternative entrerait en vigueur en 2027 et est une option de conformité disponible pour toutes les installations.  

2. Aperçu du Cadre réglementaire visant à plafonner les émissions du secteur pétrolier et gazier

De récentes déclarations du ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, ont indiqué que le gouvernement fédéral repensait son approche à l’égard de ses règlements prévus de longue date pour plafonner les émissions du pétrole et du gaz à la lumière des récentes décisions de la Cour concluant que le gouvernement fédéral a outrepassé sa compétence constitutionnelle en matière d’environnement. La ministre Guilbeault a indiqué que ces décisions de la Cour ont ajouté à la complexité du règlement, ce qui a entraîné le report par le gouvernement de sa date de publication prévue pour le projet de règlement , initialement prévu au printemps 2023, puis devrait coïncider avec la COP28. 5 Au lieu de cela, le gouvernement fédéral a publié le Cadre réglementaire pour un plafond d’émissions de gaz à effet de serre du secteur pétrolier et gazier (le Cadre). Le règlement devrait maintenant être publié au printemps 2024 et entrer en vigueur dans le courant de 2025. Les commentaires écrits officiels sur le Cadre peuvent être soumis d’ici le 5 février 2024 à PlanPetrolieretGazier-OilandGasPlan@ec.gc.ca

Dans le Cadre, le gouvernement fédéral a établi son plan de mise en œuvre d’un système national de plafonnement et d’échange des émissions au moyen de règlements qui seront pris en vertu des dispositions sur les substances toxiques de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999). Le système de plafonnement et d’échange proposé s’appliquera aux installations engagées dans des activités spécifiées (dont il est question ci-dessous) et fixe un plafond d’émissions de 2030 pour le secteur pétrolier et gazier à un niveau qui se situe entre 35 et 38 % sous les niveaux de 2019 (plafond d’émissions) tout en fournissant des mécanismes pour émettre jusqu’à un niveau entre 20 et 23 % sous les niveaux de 2019 (limite légale supérieure). Le gouvernement fédéral prévoit mettre en œuvre progressivement le système entre 2026 et 2030 ; cependant, aucun détail à cet égard n’est fourni. De plus, le règlement exigera que les émissions du secteur pétrolier et gazier diminuent au fil du temps pour atteindre zéro émission nette d’ici 2050.

En vertu du Cadre, les installations pétrolières et gazières se verront attribuer un droit d’émission individuel qu’elles ne seraient pas autorisées à dépasser sous réserve des exceptions de conformité. Il est proposé que la concession d’émissions soit initialement attribuée « gratuitement » (allocation gratuite) pour être fixée en fonction d’un niveau de production de base et d’un taux d’allocation pour un produit ou une activité donné (CO2e tonnes/unité de produit fabriqué). L’allocation libre totale serait rajustée à la hausse ou à la baisse sur la base de l’installation si la production de l’installation augmente ou diminue de plus d’un pourcentage prédéterminé par rapport au niveau de production de base.

Les installations seraient en mesure d’utiliser certains mécanismes de conformité, qui comprennent l’échange de droits d’émission entre les installations ; des périodes de conformité pluriannuelles pour donner plus de temps aux installations pour réaliser des réductions ; la mise en banque des droits d’émission pour une période de conformité maximum de deux ans (six ans) ; la possibilité d’acheter un montant limité de crédits de compensation de carbone ; et la capacité de contribuer à un fonds de décarbonisation. On envisage également d’utiliser les résultats d’atténuation transférés à l’échelle internationale ( ITMO ), qui sont une écriture comptable qui reflète une quantité de réductions ou d’absorptions d’émissions qui se produisent dans un pays et qui sont volontairement autorisés et transférés pour une utilisation vers l’objectif climatique d’un autre pays. 6

Le système de plafonnement et d’échange d’émissions s’appliquera aux installations de gaz naturel liquéfié et aux installations pétrolières et gazières en amont, y compris les installations extracôtières qui participent à la liste suivante d’activités principalement sous réglementation provinciale :

  1. La production de bitume et d’autres produits bruts, y compris les pipelines de collecte de pétrole en amont lorsqu’ils font partie d’une installation assujettie (autres que le bitume extrait de l’exploitation minière à ciel ouvert et le bitume extrait du raffinage du pétrole) ;
  2. l’extraction à ciel ouvert des sables bitumineux et l’extraction du bitume ;
  3. Valorisation du bitume ou du pétrole lourd pour produire du pétrole brut synthétique ;
  4. La production et le traitement du gaz naturel et la production de liquides de gaz naturel, y compris les canalisations de collecte de gaz en amont lorsqu’elles font partie d’une installation assujettie ; et
  5. Production de gaz naturel liquéfié (collectivement, les activités visées).

En vertu du règlement proposé, il sera interdit à toutes les installations visées, y compris les nouvelles installations, d’émettre des émissions provenant d’une activité visée à moins qu’elles ne se soient d’abord inscrites au système. Le système de plafonnement et d’échange s’appliquera à toutes les émissions directes et indirectes de l’installation (qui comprennent les émissions générées par la production d’énergie thermique, d’électricité ou d’hydrogène utilisés ou produits par l’installation). Il tiendra également compte des réductions d’émissions provenant des transferts d’émissions captées entre les installations ainsi que du stockage permanent.

Enfin, toutes les installations visées seront tenues de soumettre des rapports annuels, y compris la déclaration des émissions directes et indirectes et de la production. Les installations devront utiliser les méthodes de quantification qui n’ont pas encore été annoncées et qui sont précisées dans le règlement. Ces rapports annuels devront être vérifiés par un tiers qui se conforme aux exigences énoncées dans le Règlement.

3. Implications of Oil and Gas Emissions Policy Initiatives

Il y a eu un recul considérable de la part de l’Alberta et de la Saskatchewan à l’égard de ces initiatives stratégiques sur les émissions pétrolières et gazières au motif que les initiatives empiètent de façon inadmissible sur la compétence provinciale exclusive en matière de ressources naturelles et sur la base de la faisabilité technique. 7 En réponse, le gouvernement fédéral a déclaré que le plafond d’émissions de pétrole et de gaz proposé « plafonnera les émissions de GES, et non la production » et qu’il a « collaboré avec l’industrie pour évaluer le niveau de réductions d’émissions techniquement réalisables d’ici 2030 ». Toutefois, l’Association canadienne des producteurs pétroliers a contesté cette affirmation : affirmant que le plafond « pourrait entraîner d’importantes réductions, ce qui ferait de ce projet de cadre un plafond de production ». 8

Compte tenu des préoccupations exprimées au sujet de la constitutionnalité des initiatives stratégiques, il est probable que ces initiatives seront finalement contestées devant les tribunaux. Notamment, il n’y a pas encore eu de confirmation expresse de la Cour suprême du Canada (CSC) que le gouvernement fédéral a compétence sur la réglementation des émissions au-delà du mécanisme de tarification du carbone confirmé dans les Renvois concernant la Loi sur la tarification de la pollution par les gaz à effet de serre. 9 Dans cette décision, la CSC a confirmé le mécanisme de tarification du carbone proposé par le gouvernement fédéral en se fondant sur la doctrine de l’intérêt national en vertu de la paix, de l’ordre et du pouvoir de bon gouvernement qui lui sont conférés en vertu de l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867. En revanche, dans la décision de la CSC dans l’affaire Reference re Impact Assessment Act, la majorité a expressément conclu que les émissions de GES prévues d’un projet désigné ne relèvent pas de la compétence fédérale. 10

Bien qu’il soit possible que le gouvernement fédéral puisse s’appuyer sur la doctrine de l’intérêt national, on s’attend à ce que le gouvernement fédéral s’appuie sur le pouvoir de droit criminel qui lui est conféré en vertu du paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867 pour justifier ses modifications à la réglementation sur le méthane et son plafond d’émissions. Nous notons que, bien que le règlement sur le méthane soit actuellement en place, il n’a pas encore fait l’affaire d’une contestation constitutionnelle. Par conséquent, il n’est pas certain que le règlement sur le méthane et le plafond d’émissions proposé soient confirmés comme constitutionnellement valides en vertu du pouvoir en matière de droit criminel et soient plutôt considérés comme une intrusion invalide dans la compétence provinciale sur les ressources naturelles en vertu de l’article 92A de la Loi constitutionnelle.

Bennett Jones a de l’expérience dans tous les aspects du droit de l’énergie et des ressources naturelles, y compris en ce qui concerne les projets d’immobilisations dans les secteurs pétrolier et gazier, et dans l’élaboration de stratégies pour l’industrie afin de gérer et de s’adapter aux changements dans les lois environnementales et réglementaires. Bennett Jones a représenté le procureur général de l’Alberta à la Cour d’appel de l’Alberta et à la CSC dans le renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact.   Si vous avez des questions sur l’impact potentiel des initiatives de la politique sur les émissions pétrolières et gazières sur votre entreprise, contactez l’un des auteurs de cet article.

2 2023 CSC 23 ; Bennett Jones a agi au nom du gouvernement de l’Alberta devant la Cour suprême du Canada pour faire valoir que la Loi sur l’évaluation d’impact était inconstitutionnelle voir notre récent billet de blogue sur cette affaire ici ; 2023 FC 1511 voir notre récent billet de blogue sur cette affaire ici.

3 Règlement concernant la réduction des rejets de méthane et de certains composés organiques volatils (secteur pétrolier et gazier en amont) ( DORS/2018-66).

6 L’article 6 de l’Accord de Paris fournit un cadre de coopération volontaire entre les pays pour atteindre les objectifs climatiques, y compris par l’utilisation et l’autorisation de compensations internationales. L’autorisation d’un transfert d’OGGTI exige que le pays acquéreur et le pays hôte s’engagent à effectuer un ajustement correspondant en ce qui concerne leur contribution déterminée au niveau national afin d’éviter le double comptage des réductions d’émissions.

9 2021 CSC 11.

10 2023 CSC 23 au para 169.

Auteur(e)s

Sean Assié
403.298.3362
assies@bennettjones.com

Larissa D. Lees
403.298.3163
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Tao Browne
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