Échos du Québec sur les actions collectives de consommateurs : principales contestations juridiques

22 août 2024

Écrit par Pascale Dionne-Bourassa et Francesca Taddeo

Contestation au fond d’actions collectives intentées par des consommateurs

Lussier c. Expedia inc. (Lussier)

Le 5 mars 2019, la Cour supérieure du Québec a autorisé (c’est-à-dire certifié) une action collective contre les exploitants de différents sites Web de réservation d’hôtel.

Le demandeur allègue que les défenderesses ont enfreint des dispositions de la Loi sur la protection du consommateur et du Règlement sur les agents de voyages en omettant d’inclure des frais hôteliers (aussi appelés frais d’établissement ou resort fees, ci-après les frais hôteliers) directement facturés par les hôtels sur certaines pages Web affichant des résultats de recherche d’hôtels disponibles. Au cours du processus de réservation, les frais hôteliers se sont affichés uniquement après que le client ait eu choisi un hôtel en particulier. Ces frais, ainsi que la devise du paiement, étaient aussi indiqués dans le courriel confirmant la réservation. Ils sont appliqués sur la carte de crédit du client au moment où il quitte l’hôtel après un séjour.

Le demandeur allègue qu’en raison de l’omission de certains frais par les défenderesses, les membres du groupe ont payé des prix supérieurs à ce qu’affichaient les sites Web pour leurs chambres d’hôtel.

Un procès au fond a eu lieu à l’été 2023, et la Cour supérieure du Québec a rendu sa décision le 19 février 2024, dans laquelle elle rejette l’action.

Le juge du procès a tout d’abord reconnu que les défenderesses étaient des tiers intermédiaires (exploitants de sites de petites annonces) pour la réservation de chambres d’hôtel. À ce titre, elles ne déterminent pas la disponibilité ni le prix des chambres, et elles ne participent pas au regroupement de l’information sur les politiques des hôtels; cette responsabilité incombe aux établissements eux-mêmes. Les défenderesses empochent une commission en fonction du coût de la réservation, mais pas des frais hôteliers, et elles n’ont jamais demandé, facturé ou recueilli de tels frais.

Le juge du procès a conclu que les défenderesses ne s’étaient pas adonnées à une pratique interdite par la loi, car aucune preuve n’étayait l’allégation du demandeur selon laquelle elles auraient tenté de dissimuler l’existence des frais hôteliers. S’ils ne figuraient pas sur la première page affichant les résultats de recherche, ils n’étaient pas pour autant « cachés », car ils étaient annoncés tôt dans le processus de réservation et clairement réitérés dans le courriel de confirmation envoyé au client. Qui plus est, ces frais sont présentés de manière claire et lisible sur les sites Web. Le juge du procès a pris soin de souligner qu’en raison de la méthode et de la séquence d’affichage des frais hôteliers et du fait qu’ils sont réitérés tout au long du processus de réservation, la disposition de la Loi sur la protection du consommateur sur les « prix fragmentés », soit le paragraphe 224c), qui interdit aux commerçants, fabricants et publicitaires d’exiger un prix supérieur à celui qui est annoncé, ne s’appliquait pas.

Il a aussi conclu que l’obligation de payer des frais hôteliers sur place « est facilement compréhensible même pour un consommateur crédule et inexpérimenté ». La notion du consommateur crédule et inexpérimenté n’englobe pas celui qui ne fait aucun effort pour connaître l’étendue de ses obligations, particulièrement celles qui sont clairement exposées.

Le rejet de l’action collective s’explique aussi en grande partie par la demande formulée par le demandeur, qui n’a que sa propre conduite à blâmer pour son ignorance des frais hôteliers. L’interrogatoire au préalable a révélé qu’il avait choisi de payer sa chambre d’avance, de sorte qu’il ne lui restait que les frais hôteliers à acquitter en quittant l’hôtel. Il a également admis qu’il n’avait pas lu la page confirmant les conditions de sa réservation, où les frais hôteliers étaient clairement indiqués, et que l’avertissement sur les frais à payer en quittant l’hôtel était clair.

Dans son analyse des dommages-intérêts, le juge a confirmé la jurisprudence récente indiquant qu’il faut prouver leur existence, même lorsque la Loi sur la protection du consommateur prévoit une présomption de préjudice. En l’espèce, le demandeur souhaitait se faire rembourser les frais hôteliers payés et obtenir des dommages-intérêts punitifs. Le juge du procès a fait savoir que même s’il avait conclu à une pratique interdite de la part des défenderesses (ce qui n’était pas le cas), il aurait rejeté toute demande en dommages-intérêts. Il aurait invoqué la décision Fortin c. Mazda rendue par la Cour d’appel du Québec en 2022 pour la rejeter au motif que le demandeur n’a pas prouvé qu’il avait subi des dommages, puisqu’il a profité de tous les services pour lesquels il a payés. La présomption de préjudice n’aurait pas suffi pour établir le bien-fondé de la demande, surtout que le demandeur invoquait sa propre turpitude.

Regard vers l’avenir

L’affaire Lussier confirme que l’existence ou non d’une infraction à la Loi sur la protection du consommateur du Québec demeure une question de fait. Elle illustre l’importance de l’analyse du comportement du demandeur (et des membres du groupe, le cas échéant) dans la détermination de l’existence ou non d’une pratique interdite par la loi.

Cette décision nous rappelle aussi que dans l’analyse des demandes fondées sur la Loi sur la protection du consommateur, la Cour tiendra compte de la nature des activités du défendeur. En l’espèce, le fait que le rôle des défenderesses se limitait à afficher des annonces a joué un rôle clé dans la détermination de la responsabilité.

Enfin, la décision confirme que, dans le contexte de la protection du consommateur, il faut prouver les dommages-intérêts réclamés, même lorsque la loi prévoit une présomption de préjudice en cas de pratique interdite.

Duguay c. General Motors du Canada ltée (Duguay)

Le 8 avril 2016, la Cour supérieure du Québec a autorisé une action collective contre General Motors du Canada et General Motors LLC (collectivement ci-après, GM) au nom des personnes qui ont acheté ou loué à long terme d’un concessionnaire Chevrolet un véhicule automobile électrique modèle Volt au Canada.

Le demandeur allègue que GM a fait des représentations fausses ou trompeuses sur son site Web et dans ses brochures en affirmant que la Volt ne consommait pas d’essence et n’émettait pas de gaz à effet de serre pendant la période d’autonomie de sa batterie. GM aurait laissé croire à tort que la génératrice à essence de la Volt ne s’activait qu’une fois la batterie épuisée, alors qu’en réalité, elle se mettait en marche pour réchauffer l’habitacle et la batterie par temps froid et consommait à ce moment une petite quantité d’essence même si la batterie était chargée. Le demandeur prétend également que la mise en garde indiquant que la génératrice peut partir par temps froid est en elle-même trompeuse, et qu’elle est écrite en petits caractères et placée trop loin du « message central » concernant la Volt.

L’affaire a été examinée sur le fond en février 2023, et la Cour supérieure du Québec a publié son jugement la rejetant le 31 juillet 2023.

Pour contester le bien-fondé de l’affaire, les défenderesses ont affirmé que les représentations servaient à présenter sommairement le fonctionnement de la Volt, et que le site Web et les brochures n’étaient pas des documents de référence techniques détaillés. Le manuel et le guide du propriétaire fournis à tous les propriétaires et locataires à long terme, de même que les bulletins de service de GM, décrivaient explicitement les fonctionnalités de la Volt, dont l’activation de la génératrice à essence par temps froid.

À l’approche du procès au fond, la Cour a permis aux défenderesses d’interroger 10 membres du groupe. La preuve découlant de leurs témoignages a été attentivement examinée par la juge au procès. Nombre des membres interrogés n’ont jamais consulté, lu ou vu les représentations en cause avant d’acheter ou de louer leur Volt. Trois d’entre eux ont indiqué que le concessionnaire leur avait explicitement fait savoir que la génératrice à essence pouvait s’activer temporairement par temps froid. Après avoir analysé les transcriptions, les représentations ainsi que le manuel et le guide du propriétaire, la juge a conclu que le demandeur n’avait pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que GM avait systématiquement présenté des représentations fausses et trompeuses sur le fonctionnement de la Volt aux clients, ni même que les membres du groupe avaient pris connaissance des représentations. Les transcriptions ont plutôt révélé que les clients ont choisi la Volt en raison de son design innovant et de son autonomie prolongée, qui atténue le stress des conducteurs qui craignent l’épuisement de la batterie en cours de trajet (range anxiety).

La juge du procès n’a pas voulu présumer que les membres du groupe avaient pris connaissance des représentations en cause avant d’acheter ou de louer leur Volt, car les éléments présentés en preuve n’étaient pas assez graves, précis et concordants à cet égard.

La Cour a aussi précisé que pour déterminer si une représentation est fausse et trompeuse, on ne doit pas la prendre isolément : il faut l’analyser à la lumière du contexte du document dans lequel elle figure. La juge du procès a conclu que les mises en garde sur le fonctionnement de la Volt n’étaient ni fausses ni imprécises, et qu’un consommateur crédule et inexpérimenté les ayant lues aurait compris que l’autonomie de la batterie pouvait être interrompue et que de l’essence serait alors consommée, ce qui correspond au fonctionnement réel du véhicule.

Regard vers l’avenir

La décision Duguay illustre les avantages stratégiques et réels de l’interrogatoire de membres du groupe avant le procès au fond. Elle clarifie aussi le fardeau de la preuve du demandeur à l’étape de l’examen au fond d’une action collective, surtout lorsque les représentations visées constituent des extraits du matériel promotionnel sur un produit plutôt que le message central complet sur ce produit. L’affaire Duguay nous rappelle que même dans le contexte de la protection du consommateur, le demandeur n’est pas libéré de son fardeau de prouver les faits qui soutiennent les présomptions sur la connaissance et la prise de décision des membres du groupe.

Le lien de causalité en contexte de responsabilité sans faute

Le 4 mars 2020, la Cour supérieure du Québec a rejeté une action collective au terme du procès au fond dans l’affaire Lalande c. Compagnie d’arrimage de Québec ltée (Lalande). Dans cette affaire, les demandeurs cherchent à obtenir une indemnisation pour les résidents des environs du Port de Québec, qui auraient subi des désagréments en raison de la poussière anormale produite par les activités de la Compagnie d’arrimage de Québec (CAQ) au Port. Le Port, de même que l’Administration portuaire de Québec (APQ), qui le gère, sont aussi défenderesses.

Les faits exposés tout au long du procès de 50 jours sont particulièrement denses. Le témoignage de plus de 100 membres du groupe a été recueilli, et les pièces totalisent près de 50 000 pages. Toutefois, aucun des membres du groupe n’a témoigné au sujet de la source de la poussière ou de sa composition minéralogique ni affirmé que la poussière prétendument excessive provenait des activités de la CAQ. Ils ne pouvaient y aller que de spéculations, que le juge a écartées à titre de témoignage subjectif. Le juge a aussi écarté les avis des experts des demandeurs. Il a conclu qu’il y avait beaucoup de poussière aux environs du Port et que cela causait des inconvénients importants aux résidents, mais qu’elle provenait de plusieurs sources et que, selon la preuve, les activités de la CAQ contribuaient de façon négligeable seulement au problème. Ni la preuve des témoins des faits ni celle des experts ne lui permettaient de conclure que les activités de la CAQ avaient contribué de façon importante à la présence de poussière. Le critère du lien de causalité n’était donc pas satisfait, que ce soit sous le régime de responsabilité civile de l’article 1457 du Code civil du Québec ou le régime de responsabilité sans faute de l’article 976.

Les demandeurs ont interjeté appel de cette décision à la Cour d’appel du Québec, qui a maintenu la décision de première instance le 24 juillet 2023. Elle a d’ailleurs confirmé la conclusion de la Cour supérieure selon laquelle le critère du lien de causalité n’avait pas été satisfait. La Cour d’appel a aussi réitéré que le seuil pour les demandes liées aux craintes, appréhensions ou inquiétudes est élevé dans le contexte des actions collectives.

Regard vers l’avenir

La décision de la Cour d’appel dans l’affaire Lalande illustre le fardeau du demandeur : prouver, selon la prépondérance des probabilités, le lien de causalité entre la conduite d’un défendeur et la cause d’action alléguée et le préjudice subi, même dans le contexte de la responsabilité sans faute. La Cour d’appel a aussi confirmé la tendance jurisprudentielle selon laquelle les craintes et les inquiétudes quant à de futurs problèmes de santé ne sont pas des préjudices indemnisables en droit québécois si leur nature n’est ni commune ni partagée, et si chaque membre du groupe les ressent à une intensité différente selon son niveau de tolérance. Ce faisant, la Cour a clairement distingué la situation des membres du groupe vivant près du Port de celle de l’affaire Spieser c. Procureur général du Canada, où les inquiétudes, les craintes et les appréhensions des membres du groupe étaient objectivement vérifiables et appuyées par les autorités sanitaires.

Contestation de la composition d’un groupe pour une question de compétence

La Cour d’appel du Québec a récemment donné son avis sur l’ordre de présentation de demandes visant la compétence. Elle estime que le moment propice dépend de la question de compétence posée : concerne-t-elle les réclamations de tous les membres du groupe, ou seulement celles d’un sous-groupe?

Dans l’affaire Bourgeois v Electronic Arts Inc. (Bourgeois), le représentant souhaite faire autoriser une action collective au nom de deux groupes proposés : un groupe québécois, contre des entités établies au Québec, et un groupe national, contre des entités établies ailleurs qu’au Québec. Le demandeur allègue que la conception, le développement et l’exploitation par les différentes défenderesses de jeux vidéo comportant des boîtes à butin (loot boxes) constituent une forme de jeu illégal en droit canadien.

Dans une demande préliminaire présentée avant l’audience sur l’autorisation, les défenderesses hors Québec contestent la composition du groupe, qui devrait selon elles se limiter aux résidents du Québec puisque la Cour supérieure du Québec n’a pas compétence pour autoriser une action collective nationale contre elles. La Cour supérieure a rejeté cette demande au motif que le représentant du groupe avait démontré prima facie que deux facteurs de rattachement lui conféraient, aux termes de l’article 3148 du Code civil du Québec, compétence sur les entités non québécoises : (1) les défenderesses canadiennes avaient un établissement au Québec; (2) le litige se rapportait à leurs activités au Québec.

Les défenderesses hors Québec ont interjeté appel de cette décision à la Cour d’appel du Québec. Elles ont reconnu que la Cour supérieure pouvait autoriser une action collective contre elles relativement à des résidents du Québec, mais plaidé que la définition du groupe devrait se limiter à ce groupe, et qu’il serait efficace d’entendre l’exception déclinatoire avant l’audience sur l’autorisation.

La Cour d’appel a confirmé la décision de première instance. Selon elle, à la lumière des actes de procédure, la Cour supérieure du Québec avait clairement compétence envers les résidents du Québec, car ils prétendaient avoir subi des dommages au Québec. Elle a confirmé que la question de l’existence ou non d’activités dans un établissement au Québec (un des facteurs de rattachement de l’article 3148) devait être interprétée au moment de la naissance de la cause d’action. S’il fallait une activité continue, il serait bien trop facile pour les défendeurs d’échapper à la compétence des tribunaux du Québec.

Pour les membres du groupe hors Québec, la Cour d’appel a conclu que la demande préliminaire était non fondée, car elle ne concernait pas la réclamation individuelle du représentant. Elle concernait plutôt les réclamations d’autres membres putatifs du groupe qui, vu le mécanisme d’action collective, ne pouvaient pas encore être considérés comme des membres du groupe, l’action collective n’ayant pas (encore) été autorisée.

La Cour d’appel s’est aussi prononcée sur le moment propice à la présentation de demandes contestant la composition d’un groupe proposé pour une question de compétence : elles doivent être tranchées à l’audience sur l’autorisation, mais elles peuvent aussi être réexaminées à l’étape des questions communes. Il en va de même pour les demandes visant à faire rejeter l’action en faveur de l’arbitrage dans le but de limiter la portée du groupe. Toutefois, la Cour d’appel a aussi reconnu que la Cour supérieure peut entendre et trancher des demandes préliminaires contestant sa compétence avant l’étape de l’autorisation si elles [TRADUCTION] « concernent nécessairement soit la réclamation individuelle du représentant du groupe, soit l’ensemble des réclamations individuelles », y compris celle du représentant.

Regard vers l’avenir

Ce qu’il faut retenir de l’affaire Bourgeois, c’est que les arguments sur la compétence visant à contester la composition d’un groupe proposé devraient être traités à l’audience sur l’autorisation.

Toutefois, les demandes remettant en cause la compétence de la Cour supérieure du Québec peuvent être présentées avant l’audience sur l’autorisation si elles concernent les réclamations individuelles de tous les membres du groupe (par exemple lorsqu’une clause d’arbitrage s’applique au litige) ou celle du représentant (par exemple lorsqu’il ne s’acquitte pas de son fardeau de démontrer prima facie l’applicabilité des facteurs de rattachement de l’article 3148 du Code civil du Québec).

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Auteur(e)s

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Francesca Taddeo
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