Écrit par James Heelan, Laura Inglis, Sarah Huot, Matt Riskin et Jenna Vivian
Les clauses restrictives des employés sont souvent une question litigieuse, en particulier lorsque les employés quittent pour former (ou rejoindre) des entreprises concurrentes.
Une décision récente de la Cour du Banc du Roi de l’Alberta, People Corporation v Quinn et al. (2024 ABKB 711), offre des informations précieuses sur la façon dont les tribunaux équilibrent le caractère exécutoire des clauses restrictives, des droits des employés et des intérêts de l’employeur. Cette affaire tourne autour d’allégations de violation de clauses restrictives et des subtilités juridiques impliquées dans l’évaluation de leur validité.
Contexte de l’affaire
L’affaire découle de l’acquisition d’actions par People Corporation de Lane Quinn Benefit Consultants Ltd. (LQBC). Dans le cadre de l’acquisition, Jay Quinn, actionnaire majoritaire et chef de la direction de LQBC, a signé une convention d’emploi de cadre supérieur (EEE) et une convention de clauses restrictives (RCA). M. Quinn a par la suite démissionné de People Corporation pour établir une société concurrente, Quinn Advisory Group (QAG), et a par la suite embauché trois anciens employés de LQBC.
People Corporation a demandé des injonctions contre M. Quinn, les trois anciens employés de LQBC et QAG, alléguant des violations de : la confidentialité contractuelle, la non-sollicitation et les clauses de non-concurrence ; et les manquements aux obligations fiduciaires découlant de la common law.
La Cour a évalué si ces clauses étaient exécutoires et s’il existait des motifs suffisants pour obtenir une injonction.
Principales questions juridiques
1. Nature des clauses restrictives
Les restrictions imposées par M. Quinn dans la CR étaient limitées dans le temps et ont expiré avant sa démission. Par conséquent, People Corporation ne s’est pas fiée à la RCA et s’est plutôt appuyée sur les clauses de non-sollicitation et de non-concurrence de l’EEE.
La Cour s’est demandé si l’EEE et ses clauses restrictives étaient liées (1) à la vente commerciale de LQBC par M. Quinn à People Corporation, ou (2) à sa relation d’emploi ultérieure avec elle.
Cette distinction est cruciale, car la Cour a confirmé que les clauses restrictives dans les contrats de travail font l’objet d’un examen plus rigoureux en raison de déséquilibres de pouvoir potentiels entre les employeurs et les employés.
La Cour a conclu que les clauses restrictives de la LEE étaient liées à la relation d’emploi de M. Quinn et non à la vente commerciale. Ce faisant, la Cour a souligné de nombreux facteurs pertinents à cette décision et s’est fondée sur ce qui suit :
- Bien que les clauses restrictives de la CR aient été explicitement liées à la convention d’acquisition, les considérants indiquant que la conclusion de la convention d’achat d’actions par People Corporation était conditionnelle à la conclusion de la CR par M. Quinn, les considérants à l’EEE ne comprenaient pas une telle déclaration.
- L’EEE comprenait également une disposition qui reconnaissait que M. Quinn avait des « relations commerciales directes et indirectes » avec People Corporation et avait donc donné des engagements dans le contexte des autres relations, mais que les engagements de l’EEE n’étaient « pas destinés à être annulés, restreints ou modifiés » par ces autres engagements. En outre, l’EEE contenait une clause d’accord complète qui prévoyait qu’elle contenait « l’intégralité de l’accord entre les parties aux présentes en ce qui concerne l’emploi » de M. Quinn.
- Les dispositions des CRC concernant les renseignements confidentiels, la non-sollicitation et la non-concurrence étaient essentiellement les mêmes que celles de l’EEE, de sorte que People Corporation s’est protégée à l’égard de l’acquisition par l’entremise de la CR, ce que la Cour a considéré comme une preuve supplémentaire que l’objet de l’EEE était uniquement de régir le contrat de travail entre M. Quinn et People Corporation.
2. Caractère raisonnable et ambiguïté
La Cour a réitéré les principes clés suivants concernant les clauses restrictives découlant d’une relation d’emploi :
- Elles sont à première vue inapplicables en tant que restrictions au commerce qui sont contraires à l’ordre public.
- Une clause restrictive ne sera appliquée que si elle est « raisonnable ».
- Le caractère raisonnable est mesuré en termes de temps, de géographie (à quelques exceptions près) et de portée.
- Pour qu’une décision de caractère raisonnable soit faite, les modalités de la clause restrictive doivent être sans ambiguïté.
- Le caractère raisonnable de la portée dépend de la question de savoir si le demandeur a un droit de propriété dans l’objet, si la portée ne protège que cet intérêt et s’il est sans ambiguïté.
Un tribunal n’est pas autorisé à modifier la portée, l’heure ou la géographie de l’accord en réécrivant ou en coupant théoriquement une clause restrictive dans un contrat de travail pour refléter ce que le tribunal estime raisonnable. Par conséquent, si la clause est déraisonnable, elle est tout à fait inapplicable et ne peut être réduite à ce qui aurait été raisonnable dans les circonstances.
En revanche, bien que les clauses restrictives dans un contexte commercial doivent également être raisonnables, contrairement à celles que l’on trouve dans les relations de travail, elles sont vraisemblablement exécutoires, sous réserve d’une infraction à l’ordre public.
Compte tenu de ces principes, la Cour a jugé que les définitions de « clients » et de « clients éventuels » dans la LEE de M. Quinn étaient trop larges et ambiguës, ce qui rendait les clauses de non-sollicitation et de non-concurrence inapplicables.
La définition de « clients » dans la LEE comprenait toutes les personnes à qui un « membre du Groupe people corporation » (qui comprendrait plus de 2 700 employés de People Corporation et de ses filiales partout au Canada) a vendu des produits ou fourni des services actuellement ou dans les 36 mois précédant la sollicitation alléguée. La définition incluait également, non seulement les clients établis, mais aussi les personnes sur lesquelles un membre des personnes du Groupe corporatif « maintient ... un fichier » dans leurs « dossiers actifs ».
La définition de « clients potentiels » comprenait les personnes « qui ont été approchées par ou au nom d’un membre du Groupe People Corporation ... dans la période de 18 mois précédant la date à laquelle une sollicitation alléguée a eu lieu, bien qu’il ne s’agisse pas d’un client actuel, et toutes les personnes « que ce membre a jugées devoir être approchées ... et à l’égard de qui un plan d’action a été élaboré ».
La Cour a conclu qu’il serait impossible pour M. Quinn de déterminer si les clients approchés par le personnel de l’ACG correspondraient avec certitude à ces définitions très larges, rendant la clause trop large et ambiguë, et donc inapplicable.
En ce qui concerne la clause de non-concurrence, la Cour a également conclu que l’absence de limites géographiques rendait la clause déraisonnable et donc inapplicable.
3. Obligations en common law
Les trois autres anciens employés n’avaient pas de clauses restrictives contractuelles. People Corporation a soutenu qu’elle était néanmoins fiduciaire de People Corporation et qu’elle avait donc des obligations de common law envers People Corporation.
Citant des représentants de la Cour suprême du Canada, la juge Romaine a averti que ces fonctions sont « réservées aux situations qui ont vraiment besoin de la protection spéciale qu’offre l’équité » et que, pour qu’une obligation fiduciaire soit rattachée à un employé, l’employé doit être en mesure d’exercer un pouvoir ou un pouvoir discrétionnaire indépendant sur l’entreprise de l’employeur. Il est bien établi que les trois caractéristiques déterminantes d’un tel employé fiduciaire sont les suivantes :
- Le fiduciaire a la possibilité d’exercer un certain pouvoir discrétionnaire ou un certain pouvoir.
- Le fiduciaire peut exercer unilatéralement ce pouvoir ou cette discrétion pour influer sur les intérêts juridiques ou pratiques du bénéficiaire.
- Le bénéficiaire est particulièrement vulnérable ou à la merci du fiduciaire qui détient le pouvoir discrétionnaire ou le pouvoir.
Le statut fiduciaire est généralement limité à un cadre supérieur, supérieur, clé ou cadre supérieur qui est responsable de guider les affaires commerciales de l’employeur et nécessairement impliqué dans le processus de prise de décision. Toutefois, la juge Romaine a également fait remarquer que les tribunaux de l’Alberta ont reconnu une approche plus large lorsqu’un employé de niveau inférieur peut être considéré comme un fiduciaire. Dans ces cas, la vulnérabilité de l’employeur à la concurrence déloyale de l’employé peut donner lieu à une relation fiduciaire ad hoc. Elle a conclu que cette relation existait potentiellement entre People Corporation et l’un des anciens employés de LQBC, M. Patterson.
M. Patterson à titre de fiduciaire ad hoc
Le juge Romaine a conclu que M. Patterson était un conseiller en ventes et un directeur de comptes, qu’il n’avait pas la possibilité d’exercer un pouvoir discrétionnaire ou un pouvoir, qu’il ne pouvait pas exercer unilatéralement le pouvoir, qu’il n’était pas responsable de guider les affaires commerciales de People Corporation et qu’il ne participait pas au processus décisionnel. Néanmoins, la juge Romaine a reconnu que même si M. Patterson ne serait pas normalement considéré comme un employé fiduciaire, People Corporation, de par la nature de son entreprise, était particulièrement vulnérable à la perte en sollicitant les affaires de ses clients et a reconnu un style d’obligation fiduciaire ad hoc potentielle compte tenu des relations étroites de M. Patterson avec les clients. 1 Le tribunal a accordé une injonction limitée limitant sa sollicitation des clients de People Corporation jusqu’en février 2025, un an après sa démission.
En revanche, Mme Metez et Mme Archer, toutes deux gestionnaires de comptes chevronnées, n’ont pas été jugées être des employées fiduciaires. Mme Metez avait des relations avec beaucoup moins de clients que M. Patterson, avait peu (voire aucune) marge de manœuvre pour l’exercice du pouvoir discrétionnaire ou du pouvoir et ne s’engageait pas à agir dans l’intérêt supérieur de People Corporation. De même, Mme Archer n’était pas une employée chevronnée.
Implications juridiques
Cette décision met en lumière plusieurs considérations clés pour les employeurs concernant les clauses restrictives :
- Rédaction d’ententes claires et raisonnables : Les tribunaux n’appliqueront pas de clauses restrictives ambiguës ou trop larges. Les employeurs doivent s’assurer que ces clauses sont spécifiques, raisonnables et clairement liées à un intérêt commercial légitime.
- Ententes hybrides : Lorsque les clauses restrictives sont liées à la fois à la vente d’une entreprise et à une relation d’emploi, les tribunaux peuvent appliquer des normes de droit du travail plus strictes pour évaluer leur applicabilité.
- Obligations fiduciaires : Les employés qui occupent des postes de confiance ou d’influence peuvent avoir des obligations fiduciaires envers leur employeur, même en l’absence de clauses restrictives explicites. Une relation fiduciaire ad hoc peut également survenir dans des circonstances où l’employeur est particulièrement vulnérable à la concurrence déloyale de l’employé, même lorsque l’employé n’est pas un cadre, un cadre supérieur ou un employé « clé ».
Conclusion
L’affaire People Corporation c. Quinn est un précédent précieux pour naviguer dans les complexités juridiques des clauses restrictives et des obligations post-propriété et post-emploi. Il souligne l’importance d’une rédaction précise et d’une approche équilibrée pour protéger les intérêts commerciaux sans restreindre indûment les droits des employés. Pour les employeurs, cette affaire sert de rappel pour examiner et peaufiner les conventions d’emploi et les politiques afin d’appuyer la position que l’employeur prévoit adopter à l’égard des employés qui quittent le pays et de résister à un examen judiciaire.
1 Comme il s’agissait d’une demande d’injonction provisoire en attendant son procès, le tribunal n’a pas décidé si M. Patterson était un employé fiduciaire, mais il a plutôt décidé que People Corporation avait établi une solide cause principale qu’il aurait pu être.