Écrit par Serge Dupont, Martin Ignasiak, Laurie Wright, David Bursey et Sharon Singh
Au cours des derniers mois, le gouvernement du Canada a pris plusieurs mesures qui pourraient modifier le système de réglementation des projets de ressources naturelles et d’infrastructure, et des « projets de croissance propre » en particulier.
- Premièrement, le projet de loi C-69, Loi mettant en œuvre certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 16 avril 2024, a reçu la sanction royale. Ce projet de loi omnibus d’exécution du budget a introduit des modifications à la Loi sur l’évaluation d’impact (LEI) afin de concilier la Loi avec l’avis d’octobre 2023 de la Cour suprême du Canada qui a conclu que la Loi outrepassait la compétence du Parlement. Le gouvernement soutient que la Loi modifiée prévoit une plus grande souplesse dans la substitution des évaluations afin de permettre une plus grande collaboration et d’éviter le dédoublement intergouvernemental. Un blogue antérieur de Martin Ignasiak, David Bursey et Lisa Rodriguez a suggéré que les modifications « offrent des changements minimes et pourraient laisser l’AAI une fois de plus mûre pour des contestations constitutionnelles ». 1
- Deuxièmement, le 20 juin, le gouvernement a publié « Bâtir un avenir propre au Canada — Un plan visant à moderniser les processus fédéraux d’évaluation et de délivrance de permis afin d’accélérer la construction rapide des projets de croissance propre ». 2 Le Plan a été élaboré sous l’égide d’un groupe de travail ministériel sur l’efficacité de la réglementation pour les projets de croissance propre établi en 2023. Le Plan énonce des mesures visant à « aider les bons projets à aller de l’avant rapidement tout en appuyant une solide protection de l’environnement et en respectant les droits et les intérêts des Autochtones ».
- Troisièmement, à la fin de la réunion des ministres de l’Énergie et des Mines à Calgary le 5 juillet, le gouvernement a publié une Directive du Cabinet sur l’efficacité réglementaire et l’efficacité des permis pour les projets de croissance propre. 3 La Directive fournit une orientation aux ministres et aux fonctionnaires fédéraux sur les rôles et les responsabilités pour l’examen et l’autorisation des projets dans le but de les faire construire en temps opportun et de manière prévisible.
Ce commentaire fournit un contexte pour le Plan et la Directive, avec des conseils de haut niveau pour les promoteurs de projets et les investisseurs.
"Le projet de loi C-69 introduira un processus d’évaluation moderne qui protège l’environnement, soutient la réconciliation avec les peuples autochtones, attire les investissements et garantit que les bons projets vont de l’avant en temps opportun pour créer de nouveaux emplois et des opportunités économiques ». 4
Même si certains considèrent que ce projet de loi C-69 a permis d’atteindre certains de ses objectifs, le sentiment écrasant parmi les promoteurs de projets et les investisseurs est qu’il n’a pas fourni la rapidité et la prévisibilité du processus ni permis à de bons projets d’être construits rapidement.
Les modifications limitées à la LEI contenues dans le plus récent projet de loi C-69 confirment l’architecture législative du système de réglementation fédéral qui est susceptible de s’appliquer pendant un certain temps (c.-à-d. jusqu’à ce qu’une nouvelle décision des tribunaux ou un réexamen par le Parlement soit réexposé).
Pour répondre aux critiques constantes sur le mauvais fonctionnement du système de réglementation et pour aider à faire avancer les projets qui sont essentiels à son programme de lutte contre les changements climatiques et de croissance propre, le gouvernement se tourne vers l’administration du système (c.-à-d. la façon dont les organismes de réglementation fédéraux et les homologues provinciaux peuvent effectuer des examens et des permis de projet plus opportuns et prévisibles).
Le Plan énonce une série d’initiatives qui rappellent en partie l’ancien Bureau de gestion des grands projets (BGGP) qui avait été établi en 2007 sous le gouvernement du premier ministre Stephen Harper.
Le Plan reconnaît que « naviguer dans les différents processus d’évaluation et de réglementation peut sembler redondant, déroutant et mener à des échéanciers incertains ». Ce qui est proposé, c’est une amélioration de l’efficacité. « L’efficacité ne change pas la rigueur de ces processus, mais concentrera nos efforts là où ils peuvent avoir le plus d’impact et peut aider à rendre le processus plus prévisible. »
À la suite de la création du Groupe de travail ministériel, puis d’un Bureau de la croissance propre au Bureau du Conseil privé (BCP), le gouvernement énonce dans le Plan de nouveaux engagements sous cinq grands thèmes :
- faire progresser la réconciliation avec les peuples autochtones ;
- réduire les chevauchements avec les provinces et les territoires ;
- accroître l’évaluation d’impact et permettre l’efficacité ;
- l’amélioration de l’efficacité de la réglementation au nord du 60e année ; et
- leadership en matière de croissance propre par les organismes fédéraux de réglementation du cycle de vie, à savoir la Régie canadienne de l’énergie (RÉGIE) et la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN).
Les mesures énoncées dans le Plan comprennent :
- un nouveau coordonnateur fédéral des permis, situé au sein du BCP ;
- un Programme de garanties d’emprunt pour les Autochtones (instauré dans le budget de 2024) ;
- un coordonnateur de la consultation de la Couronne pour coordonner et faciliter la consultation avec les peuples autochtones ;
- un nouveau tableau de bord fédéral des permis qui rendra compte de l’état d’avancement des projets de croissance propre qui nécessitent des décisions fédérales ;
- de nouvelles cibles de cinq ans pour mener à bien les processus fédéraux d’évaluation d’impact et de délivrance de permis, et de deux ans ou moins pour l’autorisation de projets qui ne nécessitent pas d’évaluation d’impact fédérale ;
- travailler avec les gouvernements territoriaux et autochtones du Nord sur les « changements transformateurs non précisés » apportés à leurs processus uniques d’examen des projets ; et
- une Directive du Cabinet.
Le Plan ne dit pas quand les mesures seront mises en œuvre et quand les nouvelles structures ou les nouveaux instruments deviendront opérationnels. Le Plan est donc en grande partie cela : un plan.
Un Bureau de la croissance propre a été établi au BCP sous la direction d’un sous-secrétaire. L’autorisation du Programme de prêts aux Autochtones a été établie en vertu du projet de loi C-69 de 2024. Une filiale de la Corporation de développement des investissements du Canada (CDEV) fera preuve de diligence raisonnable à l’égard des demandes et administrera le portefeuille de garanties d’emprunt, tandis que Ressources naturelles Canada sera responsable de l’admission et du renforcement des capacités pour aider les demandeurs autochtones.
La mise en œuvre des engagements prendra du temps. Par exemple, le gouvernement consultera les Premières Nations, les Inuits, les Métis et les peuples autochtones autonomes et issus des traités modernes au sujet de la conception du coordonnateur de la consultation de la Couronne.
La directive
La Directive découle du Plan, et il s’agit essentiellement de l’orientation fournie par le Cabinet aux ministres, aux organismes de réglementation et aux ministères pour sa mise en œuvre, avec des spécifications des rôles et des responsabilités au sein de l’appareil fédéral.
Une directive n’a pas force de loi ou de réglementation. Par conséquent, elle n’a pas préséance sur les lois ou les règlements fédéraux et n’entrave pas le pouvoir discrétionnaire des organismes de réglementation. En présentant la Directive, le Plan indique qu’il « appuiera un changement de culture entre les ministères qui publient des évaluations fédérales et des décisions réglementaires pour les projets de croissance propre ». La directive stipule que « toutes les entités fédérales sont censées conduire un changement de culture au sein de leurs organisations qui reflète les mesures urgentes requises pour accélérer la croissance propre ... La question de savoir si et comment de telles entreprises affectent le comportement et donc l’efficacité du système de réglementation est en grande partie une question de leadership.
La Directive crée un Conseil des mesures d’efficacité en matière de réglementation des sous-ministres qui comprendra des administrateurs généraux d’entités fédérales ayant un rôle à jouer dans la délivrance de permis, de licences ou d’autorisations fédéraux clés pour les projets de croissance propre en route vers la construction.
Le sous-secrétaire à la Croissance propre agira à titre de coordonnateur fédéral des permis et supervisera la fonction fédérale de coordination des permis. Le Bureau de la croissance propre a la responsabilité globale de la mise en œuvre du Plan et de la Directive.
La directive identifie les secteurs clés qui seraient alignés sur un avenir net zéro et donc fondamentaux pour la transition nationale et mondiale vers le zéro émission nette : minéraux critiques ; énergie/ électricité ; nucléaire ; combustibles propres ; écologisation des secteurs manufacturiers, industriels et difficiles à réduire ; et « infrastructures habilitantes » qui comprennent les ports, les routes, les rails, les pipelines et les lignes de transmission.
Observations finales
Le Plan et la Directive sont en grande partie des déclarations d’intention, avec des éléments de ce qui peut être décrit comme « à l’intérieur du baseball » pour les autorités fédérales. Le financement prévu dans le budget de 2024 de seulement 9 millions de dollars sur trois ans pour le Bureau de la croissance propre indique que les initiatives reposent en grande partie sur la collaboration des ministères et organismes de réglementation.
Compte tenu des déclarations antérieures remontant à 2018 et du bilan inégal du gouvernement en matière de mise en œuvre de ses engagements, l’impact précoce sur les examens de projets et la délivrance de permis est incertain. L’expérience sur le terrain montre que l’un des plus grands défis à l’obtention de résultats efficaces est la capacité technique limitée et l’expérience des organismes pour traiter rapidement l’évaluation des projets.
Cela dit, le Plan fournit une base, y compris le Bureau de la croissance propre, aux investisseurs, aux promoteurs et aux autres participants à l’élaboration des projets pour qu’ils s’engagent avec le gouvernement et plaident pour l’efficacité, la prévisibilité et la rapidité des processus d’examen des projets et de délivrance de permis.
Les promoteurs et les investisseurs des grands projets devraient demander un engagement précoce avec le Bureau de la croissance propre et les organismes de réglementation et les ministères afin de déterminer la possibilité de tracer une feuille de route pour les examens de projets, les permis et les consultations de la Couronne, y compris une meilleure collaboration avec les autorités provinciales, qui peut soutenir la confiance nécessaire pour aller de l’avant avec les projets.
Bennett Jones peut aider à l’analyse juridique et politique pour s’engager dans de telles discussions et pour évaluer les opportunités et les risques.
1 Martin Ignasiak, David Bursey, Lisa Rodriguez, Modifications à la Loi sur l’évaluation d’impact annoncées : De nombreuses questions restent en suspens, blogue de Bennett Jones, 06 mai 2024, https://www.bennettjones.com/Blogs-Section/Impact-Assessment-Act-Amendments-Announced-Many-Questions-Still-Left-Unresolved
2 Gouvernement du Canada (Bureau du Conseil privé), Bâtir un avenir propre au Canada : Un plan pour moderniser les processus fédéraux d’évaluation et de délivrance de permis afin de construire plus rapidement les projets de croissance propre, 20 juin 2024, https://www.canada.ca/en/privy-council/services/clean-growth-getting-major-projects-done/action-plan.html
3 Gouvernement du Canada (Bureau du Conseil privé), Directive du Cabinet sur l’efficacité de la réglementation et de la délivrance de permis pour les projets de croissance propre, 5 juillet 2024, https://www.canada.ca/en/privy-council/services/clean-growth-getting-major-projects-done/cabinet-directive.html
4 L’honorable Catherine McKenna, ministre de l’Environnement et du Changement climatique, présentation au Comité permanent de l’environnement et du développement durable de la Chambre des communes, pour commencer l’étude par le Comité du projet de loi C-69, le 22 mars 2018, https://www.ourcommons.ca/documentviewer/en/42-1/ENVI/meeting-99/evidence