Écrit par Simon Crawford et Dana Talucci
Ces dernières années, les tribunaux de l’Ontario ont eu du mal à trancher cette question, et nous vous invitons à consulter à cet égard notre article de blogue Demande de fermeture de permis de construction ouverts qui portait sur la décision rendue en 2022 dans l’affaire Chan v. Mangal1 traitant du même sujet.
Plus récemment toutefois, la Cour a de nouveau examiné si la fermeture ou le retrait d’un permis de construction ouvert peut être réquisitionné en tant que question de titre en Ontario, et elle est arrivée à une réponse qui est déconcertante pour certains.
En pratique, l’acheteur ne veut pas de permis de construction ouvert lorsqu’il achète un bien immeuble. En effet, un tel permis suggère un risque que certains travaux puissent y être inachevés... ce qui est bien entendu problématique pour lui. C’est pourquoi, à des fins commerciales, il souhaitera que ce permis soit fermé.
Or, le risque qui préoccupe l’acheteur a trait au bâtiment et à la possibilité qu’il y ait des travaux physiques inachevés à y effectuer. Il n’a rien à voir avec le fait de savoir si le vendeur est réellement propriétaire de l’immeuble ou s’il existe une lacune, une déficience ou une zone d’ombre quant à la nature ou à la validité de sa propriété ou de son titre de propriété. Ce risque est associé non pas au titre… mais au défaut de construction. Le permis de construction ouvert n’est pas enregistré sur le titre. Il ne s’agit pas d’une charge sur le titre. Il est sans rapport avec lui.
La Cour a cependant vu les choses différemment dans l’affaire EPRF Holdings Ltd. v. Fergus Bloor Inc.2. Voici ce qui s’est passé.
Le 18 octobre 2019, EPRF Holdings Limited (le vendeur), en tant que vendeur, et Fergus Bloor Inc. (Fergus), en tant qu’acheteur, ont conclu un contrat d’achat et de vente visant un immeuble commercial (le contrat).
Le 17 mars, Fergus, conformément au délai exigé pour les réquisitions, a demandé la fermeture des deux permis de construction en cours.
Le 18 mars, l’avocat du vendeur a fait savoir à celui de Fergus que les deux permis avaient été fermés et que le vendeur pouvait en obtenir confirmation auprès de sa personne-ressource à la Cité de Toronto. Curieusement, il semblerait qu’à ce stade, le vendeur n’a pas nié la validité de la réquisition... et a simplement répondu que les permis avaient été fermés.
Il s’est ensuite produit entre les parties bien des choses que la Cour a peut-être prises en considération, mais qui n’ont aucune incidence sur l’enjeu judiciaire. Des prorogations ont été demandées et refusées. Des solutions de financement par le vendeur ont été proposées et rejetées.
Puis, le 31 mars, soit un jour avant la date prévue de clôture, l’avocat de Fergus a informé celui du vendeur qu’un permis de construction demeurait ouvert et que l’assureur de titres ne fournirait pas de couverture à son égard. Le vendeur a alors affirmé que ce permis ne visait pas l’immeuble en cause. En fait, il s’est avéré qu’il concernait un guichet automatique devant être installé de l’autre côté de la rue... et renvoyait à tort à l’immeuble.
Le 1er avril, la date de clôture, le vendeur a confirmé son désir irrévocable de procéder à la clôture (tendered on), entre autres, à Fergus et à son ayant cause (collectivement, l’acheteur). Le 6 avril, le permis ouvert restant a été supprimé.
Le vendeur a poursuivi l’acheteur afin d’obtenir le paiement de l’acompte, des dommages-intérêts pour la violation du contrat et des dommages-intérêts punitifs. L’acheteur a déposé une demande reconventionnelle en vue de recouvrer l’acompte.
Le paragraphe 8 du contrat stipulait ce qui suit : [TRADUCTION]
« (ii) cinq jours avant la clôture, pour s’assurer qu’il ne restait aucun ordre de travail actif ni avis de défaut touchant l’immeuble, et que son utilisation actuelle (.........................................................) pouvait légalement se poursuivre. Si, dans ce délai, une objection valide au titre ou à tout ordre de travail en cours et/ou avis de défaut, ou au fait que cette utilisation actuelle ne peut légalement être poursuivie, est présentée par écrit au vendeur et que ce dernier ne peut ou ne veut pas y donner suite ni obtenir une assurance en faveur de l’acheteur et de tout créancier hypothécaire (aux frais du vendeur), et que l’acheteur n’y renonce pas, le présent accord, malgré les actes intermédiaires ou les négociations à l’égard de ces objections, prendra fin et toutes les sommes payées seront restituées sans intérêt ni déduction, et le vendeur, le courtier inscripteur et le courtier collaborateur ne seront pas tenus responsables des coûts ou des dommages.».
Invoquant le paragraphe 8 du contrat, l’acheteur a fait valoir que le permis de travail en cours constituait une « objection valide au titre », un « ordre de travail actif » ou un « avis de défaut », qu’il incombait au vendeur de le retirer ou de fournir une couverture d’assurance de titres à son égard, et que puisque ni l’un ni l’autre n’avait été effectué, il avait le droit de considérer le contrat comme terminé.
Le juge saisi de la requête a convenu avec l’acheteur qu’il revenait au vendeur de faire retirer le permis ou de fournir autrement une assurance de titres, laquelle était indisponible en l’espèce, et que l’acheteur n’avait pas à accepter la déclaration et l’engagement du vendeur en lieu et place de ces mesures. L’acheteur n’était nullement obligé d’assumer les risques afférents au permis ouvert.
Le même juge a conclu que le permis de travail constituait une préoccupation légitime pour l’acheteur et a souligné que 1) le vendeur avait déclaré que le permis avait été retiré alors qu’il n’en était rien, 2) les permis étaient ouverts depuis 2011, 3) le vendeur avait affirmé que, selon la Cité de Toronto, les deux permis seraient retirés en février et le permis en cause ne l’avait pas été, ce qui indiquait un problème possible avec son retrait, 4) le vendeur n’avait pas été en mesure de retirer facilement le permis, ce qui avait démenti son assertion qu’il s’agirait là d’une tâche aisée, 5) si le permis n’était pas retiré, l’acheteur devrait se tourner vers le tribunal, et 6) l’acheteur ne souhaitait pas être impliqué dans un éventuel litige lié à cela.
Le vendeur a interjeté appel de la décision
À la Cour d’appel3, le vendeur a cité les décisions rendues dans les affaires Thomas v. Carreno4 et 1854822 Ontario Ltd. v. Estate of Manual Martins5, selon lesquelles, lorsque les tribunaux ont jugé qu’un permis ouvert pourrait exposer un propriétaire immobilier à un ordre de travail, à des travaux correctifs coûteux et à des litiges potentiels, et que le droit de l’acheteur de jouir du bien immobilier n’est nullement certain, le permis de construction ouvert ne représente pas un « vice mineur », mais touche plutôt le titre originaire. Le vendeur a soutenu que, dans ces deux cas, les permis de construction visaient d’éventuels travaux correctifs, tandis qu’en l’espèce, le permis de construction ne se rapportait pas à un défaut de l’immeuble.
La Cour d’appel a rejeté l’appel et statué que le juge saisi de la requête avait tiré une conclusion mixte de faits et de droit en ce qui concerne les droits et obligations des parties aux termes du contrat d’achat et de vente. Par conséquent, ils devaient s’en remettre à la décision de ce juge sauf erreur de principe ou erreur de fait manifeste et déterminante.
La Cour d’appel a tranché que 1) il était loisible au juge saisi de la requête de conclure que le vendeur ne pouvait pas délivrer la possession paisible du bien, et 2) le juge en question avait eu raison d’inférer qu’un litige était une réelle possibilité, d’autant plus que le vendeur n’avait pas réussi à faire retirer le permis ouvert des semaines après s’être adressé à la Cité de Toronto.
De nombreux praticiens pourraient être en désaccord avec ces conclusions.
S’agissant du premier point, notons que la possession paisible et tranquille de biens immeubles n’a rien à voir avec les permis de construction ouverts. Pour ce qui est du second, un éventuel litige ne saurait servir de fondement à une réquisition valide s’il ne repose pas sur une question de titre ou sur l’une des questions hors titre pouvant, aux termes du contrat d’achat, faire l’objet d’une réquisition.
L’existence de permis de construction ne prouve pas que des travaux ont débuté ou sont en cours. Leur existence n’exige pas que des travaux soient effectués ou commencés. Elle ne représente pas non plus une preuve que l’immeuble contrevient aux lois applicables. Les permis de construction ne sont pas une charge sur le titre, et ils ne constituent pas une question de titre. En outre, ils ne sont pas considérés comme des ordres de travail ou une preuve que l’immeuble est vicié. Le permis de construire ouvert n’a rien à voir avec la possession tranquille. Il n’a rien à voir avec des procédures litigieuses.
De surcroît, pour couronner le tout, dans le cas qui nous intéresse, le permis de construction ne visait même pas l’immeuble. Il existait en effet des preuves factuelles qu’il était destiné à l’installation d’un guichet automatique dans un immeuble voisin.
Que faire alors de cette jurisprudence ? Il faudrait sans doute adapter les contrats d’achat standards. La réponse (à tout le moins) pourrait être de traiter contractuellement les permis de construction de la même façon que les ordres de travail. Il s’agirait donc de :
- mettre les « permis de construction ouverts » sur la liste des choses qui peuvent être réquisitionnées pendant la période de réquisition;
- prévoir qu’ils ne peuvent pas être réquisitionnés à l’expiration de la période de réquisition, à moins de survenir après la fin de celle-ci.
Les parties qui souhaitent avoir une disposition plus complète pour traiter de la jurisprudence problématique pourraient ajouter d’un commun accord que les permis de construction ouverts ne constituent ni des questions de titre ni des questions qui peuvent autrement être réquisitionnées, y compris en tant que questions de translation de propriété… visant dans les faits à se soustraire à la jurisprudence problématique.
Bien entendu, il y aura des variations sur le thème. Ainsi, un vendeur pourrait vouloir être libre de donner une promesse (avec ou sans retenue de garantie) à la clôture pour s’occuper des permis de construction ouverts après celle-ci. Il pourrait souhaiter exclure de sa responsabilité les permis de la sorte demandés par les locataires actuels qui effectuent dans leurs propres locaux des travaux permis par leurs baux.
En somme, en dépit de cet ensemble controversé de jurisprudence sur les permis de construction ouverts, il reste des arguments valables selon lesquels :
- l’existence d’un permis de construction ouvert n’est pas une question se rapportant au titre de propriété du propriétaire sur le bien en cause (et ne touche certainement pas le « titre originaire »);
- un permis de construction ouvert n’est pas un ordre de travail, un avis de défaut, ni une confirmation analogue que le bien n’est pas conforme aux lois applicables.
Pour l’instant cependant, certains éléments de la jurisprudence donnent à penser le contraire de ce qui est énoncé aux points 1 et 2, de sorte que les praticiens devraient expressément traiter de la question des permis dans leurs contrats d’achat et de vente afin de ne pas laisser la common law récente combler le vide. Le fait de se fier uniquement au langage standard de l’association immobilière de l’Ontario (OREA) et de la chambre immobilière de Toronto (TREB) — en ce qui concerne les réquisitions — pourrait donner lieu à des résultats et à des droits non souhaités.
1 Chan v. Mangal (2022 ONSC 2068)
2 EPRF Holdings Ltd. v. Fergus Bloor Inc.(2022 ONSC 4940)
3 EPRF Holdings Limited v. Fergus Bloor Inc. (2024 ONCA 707)
4 Thomas v. Carreno (2013 ONSC 1495)
5 1854822 Ontario Ltd. v. The Estate of Manuel Martins (2013 ONSC 4310)
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