Écrit par Cheryl Woodin et Sidney Brejak
Les modifications apportées à la Loi de 1992 sur les recours collectifs de l’Ontario sont entrées en vigueur il y a environ quatre ans. Parmi les plus importantes, figure l’ajout du paragraphe 5(1.1), qui précise le critère du meilleur moyen énoncé à l’alinéa 5(1)d).
Avant, à l’étape de la certification, le demandeur devait établir un certain fondement factuel montrant que le recours collectif était le meilleur moyen de régler le différend. Il devait démontrer que son recours était : (1) équitable, efficace et gérable; et (2) préférable à tout autre moyen de règlement disponible. Les modifications ont ajouté deux conditions. Ainsi, le recours collectif ne sera considéré comme le meilleur moyen de régler les questions communes « que si, au minimum » : (i) le recours collectif est supérieur à tous les autres moyens de règlement raisonnablement disponibles; (ii) les questions communes l’emportent sur les questions individuelles.
De nombreux auteurs se sont penchés sur les possibles conséquences juridiques et pratiques des modifications1, et des juges ont indiqué en obiter soit que les modifications ne font que codifier la jurisprudence2, soit qu’elles modifient le droit de façon importante3, mais les tribunaux s’étaient peu attardés à cette question jusqu’à récemment.
Les choses ont changé depuis que le juge Perell, l’un des plus éminents spécialistes des recours collectifs au Canada, a rendu sa décision dans l’affaire Banman v Ontario (Banman), le 31 octobre 2023.
Dans cette affaire, les demanderesses voulaient faire certifier un recours collectif contre le gouvernement de l’Ontario et le procureur général au nom de 429 patients traités par le service de psychiatrie légale de l’hôpital psychiatrique St. Thomas entre 1976 et 1992. Leurs allégations étaient nombreuses : manquement à une obligation fiduciaire, négligence, responsabilité du fait d’autrui, manquement à une obligation intransmissible et violation des articles 7, 9, 12, 15 et 28 de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte). Les défendeurs s’opposaient à la certification, soutenant que les questions individuelles l’emporteraient sur les questions communes et qu’une jonction d’instances serait préférable au recours collectif proposé.
Le juge Perell a rejeté le recours contre le procureur général, mais certifié celui contre le gouvernement de l’Ontario puisque les demanderesses avaient satisfait au critère de certification, sauf pour certaines allégations relatives à la Charte et plusieurs questions communes relatives au lien de causalité et au préjudice.
Un critère de certification resserré
Pour déterminer l’effet des modifications sur l’analyse du meilleur moyen, le juge Perell analyse le texte et l’historique législatif des modifications. Il en conclut que celles-ci avaient pour objet [TRADUCTION] « de rehausser le seuil, d’ériger un plus grand obstacle, de rendre le critère du meilleur moyen plus difficile à satisfaire ». Ainsi, le recours collectif proposé doit obligatoirement être supérieur aux autres moyens, et les questions communes, prises ensemble, doivent obligatoirement l’emporter sur les questions individuelles.
Le juge Perell se penche ensuite sur le caractère restrictif du critère modifié. Il conclut que la nouvelle analyse du meilleur moyen consiste à déterminer : (1) si le recours collectif est gérable; (2) s’il existe d’autres moyens raisonnables; (3) si les questions communes l’emportent sur les questions individuelles; (4) si le recours collectif proposé est préférable aux autres moyens.
Cette analyse implique une comparaison des avantages et des inconvénients des solutions de rechange sur trois plans : économie de ressources judiciaires, modification des comportements et accès à la justice, ce dernier facteur devant toujours être le plus important. Le recours collectif ne constituera pas le meilleur moyen si, en fin de compte, les demandeurs sont confrontés aux mêmes difficultés économiques et pratiques qu’au départ.
Prédominance
Le juge Perell conclut que l’analyse de la prédominance des questions communes sur les questions individuelles sert à déterminer si les questions communes — prises ensemble — contribuent à l’économie de ressources judiciaires et permettent l’accès à la justice en faisant progresser suffisamment les réclamations des membres du groupe. La fameuse métaphore du match de football — chaque question commune doit simplement faire gagner quelques verges — ne s’applique pas à la nouvelle analyse du meilleur moyen, plus rigoureuse.
Pour déterminer si les questions communes, prises ensemble, l’emportaient sur les questions individuelles dans l’affaire Banman, le juge Perell a tenu compte des grandes disparités dans les montants réclamés par les patients. Individuellement, beaucoup de patients réclamaient des montants négligeables qui ne justifiaient pas le coût d’une poursuite individuelle. Quelques patients réclamant plusieurs millions de dollars auraient très bien pu intenter des poursuites individuelles, mais le juge a conclu que les avantages pour les membres du groupe réclamant un petit montant répondaient à l’exigence de prédominance des questions communes. En effet, ces patients ne disposaient d’aucune autre voie d’accès à la justice.
Supériorité
Après un examen des solutions de rechange au recours collectif proposé, le juge Perell conclut que ces solutions seraient longues, coûteuses et inefficientes. Il cite l’affaire Barker v Barker (une proposition de recours collectif pour violence institutionnelle avait fait l’objet d’une jonction d’instances; le processus, qui a finalement duré 23 ans, a été marqué par des retards, des coûts prohibitifs et d’autres difficultés), un bon exemple qui illustre le coût élevé et le caractère ingérable des poursuites individuelles pour violence ou malfaisance institutionnelle. Revenant à l’affaire dont il est saisi, le juge Perell indique que des poursuites individuelles obligeraient les patients vulnérables, marginalisés et âgés à participer à de longues enquêtes préalables dans l’espoir de recevoir un tout petit montant.
Par ailleurs, le juge Perell rappelle aux défendeurs qu’une poursuite unique serait financièrement avantageuse pour eux, car ils seraient dégagés de toute responsabilité envers tous les membres du groupe en cas de règlement.
Grozelle v Corby Spirit and Wine Limited, 2023 ONSC 7212
Dans l’affaire Grozelle v Corby Spirit and Wine Limited de 2023 (Grozelle), une contestation de motion en certification, la juge Akbarali cite Banman favorablement. Elle réitère que les modifications ont rendu le critère de certification plus rigoureux.
Les demandeurs dans l’affaire Grozelle alléguaient que la défenderesse était responsable de dommages matériels prétendument causés par les émissions de ses entrepôts de vieillissement du whisky, qui auraient fait apparaître un champignon. Ils l’accusaient de négligence et de fausses déclarations négligentes.
La juge Akbarali a conclu que le recours collectif n’était pas le meilleur moyen en l’espèce, contrairement à l’affaire Banman, parce que les questions individuelles l’emportaient sur les questions communes, tant en quantité qu’en difficulté de la preuve nécessaire à la démonstration du préjudice et, potentiellement, des éléments constitutifs d’une fausse déclaration négligente. Ainsi, l’instruction des questions individuelles serait aussi exigeante qu’une poursuite individuelle pour les membres du groupe.
Regard vers l’avenir
Les décisions Banman et Grozelle, qui jettent un premier éclairage sur l’application de la nouvelle analyse du meilleur moyen, seront très utiles aux avocats qui travaillent sur des recours collectifs en Ontario. On sait maintenant que :
- le critère du meilleur moyen est désormais plus difficile à satisfaire pour les demandeurs;
- l’accès à la justice est le principal facteur à considérer dans l’analyse du meilleur moyen;
- pour répondre à l’exigence de la prédominance, les questions communes — prises ensemble — doivent l’emporter sur les questions individuelles;
- il faut tenir compte de la faisabilité économique et de l’efficience pour déterminer si le recours collectif est préférable aux autres moyens raisonnables.
Bien qu’il soit trop tôt pour mesurer le plein effet des modifications sur les recours collectifs futurs, les décisions Banman et Grozelle confirment que le critère du meilleur moyen est plus difficile à satisfaire que sous le régime de l’ancienne loi. Cela dit, il reste à voir comment les tribunaux continueront d’interpréter et d’appliquer la nouvelle analyse du meilleur moyen à d’autres trames factuelles et à d’autres moyens envisageables.
1 Par exemple, Michael Eizenga et Michael Peerless affirment que le critère de certification de l’Ontario [TRADUCTION] « est désormais plus difficile à satisfaire », si bien que l’Ontario est le seul endroit « où le critère du meilleur moyen est aussi restrictif ». Voir « Class Actions: From Case #1 to the 2020 Amendment in Ontario », 40 Adv J No 4, 21-25.
2 Woods et al. v University of Ottawa, 2021 ONSC 5720; McGee v Farazli et al., 2022 ONSC 4105.
3 Coles v FCA Canada Inc., 2022 ONSC 5575.Voici d’autres articles de cette série :
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