Écrit par Michael Ramsay, Denise Bright et Alixe Cameron
Il se profile à l’horizon albertain un changement potentiellement coûteux des droits exigibles qui pourrait prendre au dépourvu les prêteurs et les emprunteurs détenant des facilités de crédit de taille ou multiterritoriales. Ce changement visera les prêts hypothécaires (accessoires ou autres), les débentures et les actes de fiducie, ainsi que les prêts hypothécaires supplémentaires et de remplacement, sans oublier toutes les oppositions revendiquant un intérêt aux termes d’une hypothèque enregistrée ou non.
Il est courant pour les prêteurs d’exiger que les emprunteurs enregistrent des hypothèques accessoires sur des biens immobiliers dans le cadre de la garantie qu’ils leur donnent à l’égard de la facilité de crédit octroyée. Souvent, le montant en capital de l’hypothèque est égal ou supérieur au plafond de la facilité de crédit, quelle que soit alors la valeur du bien-fonds sur lequel est enregistrée l’hypothèque. De cette manière, si le bien-fonds s’apprécie pendant la durée de la facilité de crédit, la garantie du prêteur couvrira cette plus-value, à concurrence de la valeur nominale de l’hypothèque.
Les frais prescrits prévus par la loi albertaine intitulée Land Titles Act (la LTA) ont été majorés le 20 octobre 2024. Vous trouverez des précisions à ce sujet dans notre article de blogue Ouvrez vos portefeuilles plus larges! Augmentation des droits de transfert foncier et d’enregistrement hypothécaire de l’Alberta à venir le 20 octobre 2024; toutefois, dans le texte qui suit, il est expressément question des frais d’enregistrement hypothécaire qui, à moins de réductions, correspondent à des frais de base de 50 $, auxquels sont ajoutés 5 $ par tranche (ou partie de tranche) de 5 000 $ du capital1. Ce sont ces réductions qu’il est maintenant proposé d’abroger, avec les conséquences importantes qui risquent d’en découler.
Lorsque la valeur du bien-fonds est inférieure au capital hypothécaire, l’emprunteur peut demander un rajustement du calcul des frais prescrits afin que ceux-ci reposent sur la valeur du bien-fonds plutôt que sur celle de l’hypothèque2. Or, l’alinéa c du paragraphe 4 de l’article 9 du projet de loi 32 récemment déposé abroge les dispositions de la LTA qui prévoient cette réduction des frais3.
Répercussions du projet de loi 32 sur les frais prescrits
Si le projet de loi 32 est adopté, les frais prescrits pour une hypothèque seront uniquement fondés sur la valeur nominale de celle-ci. Bien que cette nouvelle façon de faire n’ait aucune incidence sur les hypothèques devant être enregistrées sur des biens-fonds dont la valeur est égale ou moindre à celle des biens-fonds en question, elle se répercuterait sur les facilités de crédit dont l’hypothèque et le bien-fonds en Alberta ne constituent qu’une composante accessoire. La meilleure façon d’expliquer les ramifications de cette modification est de les illustrer par un exemple :
La société A possède une facilité de crédit de 100 millions de dollars pour ses activités, qui comprennent des magasins dans plusieurs provinces. L’un d’eux est situé en Alberta sur un bien-fonds appartenant à la société A qui est évalué à 5 millions de dollars. Le prêteur de la société A exige l’enregistrement d’une hypothèque ayant une valeur nominale équivalente à la valeur totale de la facilité de crédit. Au moment de l’enregistrement de cette hypothèque de 100 millions de dollars, la société A présente une déclaration solennelle aux fins de la réduction des frais prescrits, confirmant que ces derniers devraient être fonction de la valeur de 5 millions de dollars du bien-fonds, plutôt que de la valeur nominale de l’hypothèque. Ces frais se chiffreraient donc à 5 050 $ au total.
Or, si le projet de loi 32 est adopté, même si les biens-fonds ne valent que 5 millions de dollars, les frais prescrits pour la même hypothèque totaliseront 100 050 $. Soit 20 fois plus.
Les auteurs ont vu des hypothèques accessoires aussi élevées que 12 milliards de dollars. En cas d’adoption du projet de loi, les frais prescrits pour ces hypothèques atteindraient le montant astronomique d’environ 12 millions de dollars.
Comparaison des frais en Saskatchewan et en Colombie-Britannique
À titre de comparaison à la date du présent article, en Saskatchewan, les frais d’enregistrement hypothécaire montent à 180,00 $ pour les quatre premiers titres, intérêts ou parts, auxquels s’ajoutent 55,00 $ pour chaque titre, intérêt ou part supplémentaire4. Si une seule parcelle de bien-fonds est hypothéquée, les frais d’enregistrement de l’hypothèque de 100 millions de dollars évoquée dans l’exemple ci-dessus ne dépasseraint pas 180,00 $. En Colombie-Britannique, ces frais sont encore plus bas : à la date des présentes, les frais sont publiés à un taux fixe de 81,27 $ par hypothèque, quel que soit le nombre de titres visés5.
Si le projet de loi est adopté et que les changements mentionnés entrent en vigueur, nous nous attendons à ce que, en cas de différence importante entre le montant total de la facilité de crédit et la valeur des biens-fonds, les prêteurs soient tenus par les emprunteurs de modifier leur pratique en Alberta afin de limiter le montant des frais à payer, et cessent d’exiger des emprunteurs qu’ils enregistrent les hypothèques à la valeur nominale de la facilité de crédit. Il en découlera des hypothèques rédigées et enregistrées spécifiquement pour chaque parcelle de bien-fonds, en lieu et place d’hypothèques cumulatives d’un montant supérieur aux valeurs actuelles des biens-fonds. Cette situation engendrera pour les emprunteurs des coûts additionnels liés à l’établissement des documents particuliers par leurs avocats, ainsi que des maux de tête administratifs supplémentaires puisque chaque parcelle qu’ils possèdent en Alberta pourrait être grevée d’une hypothèque distincte (et donc avoir son propre numéro d’enregistrement).
Élimination possible des réductions supplémentaires par le projet de loi 32
Nous notons également que ces frais prescrits ne constituent pas nécessairement un coût ponctuel, car un emprunteur peut se refinancer auprès d’autres prêteurs et ainsi rembourser les prêts hypothécaires existants sur les biens-fonds et en mettre en place de nouveaux. Le prêteur peut également exiger une augmentation du montant hypothécaire ou encore une hypothèque en sus de celle existant déjà, des éléments qui sont actuellement utilisés à l’appui d’une demande de réduction fondée sur une déclaration solennelle confirmant que le nouvel enregistrement est pour les mêmes parties que dans le cas de l’hypothèque antérieure et que les frais prescrits avaient déjà été acquittés relativement à l’hypothèque en question. Si le projet de loi 32 est adopté, les emprunteurs et les prêteurs essaieront probablement de modifier les hypothèques existantes plutôt que de procéder à un refinancement, lequel nécessiterait une quittance suivie d’un nouvel enregistrement (au plein montant des frais prescrits) pour limiter l’incidence des frais exigibles. En outre, nous nous attendons à ce que les prêteurs envisagent sérieusement de modifier les prêts hypothécaires en Alberta afin de tenir compte de l’appréciation des biens-fonds au moment d’une éventuelle modification et, en particulier, d’une augmentation, des facilités de crédit.
Conclusion
Nous ne savons pas avec certitude si cette section du projet de loi 32 sera approuvée, et, si elle l’est, nous ignorons à quelle date les abrogations prévues de certaines dispositions de la LTA entreront en vigueur. Bien qu’il n’y ait aucune garantie d’avertissement préalable, nous osons espérer que le gouvernement de l’Alberta, comme il l’a fait lors de la bonification des frais prescrits en octobre 2024, donnera un préavis d’au moins quelques semaines de la date d’application de ce nouveau barème de frais aux hypothèques soumises. Dans les modifications proposées, il est indiqué que les hypothèques déposées qui n’auront pas encore été enregistrées seront exemptées des nouveaux frais.
Bien que ce projet de loi ne vise que les biens-fonds de l’Alberta, étant donné que maintes hypothèques accessoires sont enregistrées conformément aux exigences en matière de sûreté d’une facilité de crédit nationale ou mondiale, il est impératif que les prêteurs, les emprunteurs et les avocats d’autres territoires soient informés de ce changement potentiel afin que les facilités de crédit négociées prévoient la possibilité que l’hypothèque de l’Alberta ne soit pas enregistrée à la valeur nominale de la facilité de crédit.
Nos groupes pancanadiens Immobilier commercial et Services financiers sont là pour répondre à toutes les questions que vous pourriez avoir à propos de ce projet de loi 32 et de ses éventuelles ramifications sur l’enregistrement des hypothèques en Alberta. N’hésitez pas à contacter les auteurs si vous avez d’autres questions sur l’information ci-dessus.
1Land Titles Act, RSA 2000, c L-4, paragraphe 2 de l’article 102.1.
2Land Titles Act, RSA 2000, c L-4, paragraphes 2 et 3 de l’article 102.1.
3 Projet de loi 32, Financial Statutes Amendment Act, 2024 (No. 2), 1st Sess, 31st Leg, 2024 (première lecture le 4 novembre 2024)
4 ISC, « Land Titles Fees », (4 mai 2024), en ligne :
5 Land Title and Survey Authority of British Columbia, « Fees », en ligne : < https://ltsa.ca/fees/>
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